Youssef Daoudi: « De l’ironie et de l’absurde »

Les Maîtres de guerre ont toujours été des fous furieux. Youssef Daoudi n’a donc pas eu besoin de trop forcer le trait pour souligner l’énormité de certaines situations. Son voyage dans le temps est aussi délirant qu’instructif !

img4433|left>Comment avez-vous l’idée d’écrire sur ces maîtres de guerre ?
Youssef Daoudi. C’est un projet que j’avais en tête depuis très longtemps. Avant même « La Trilogie Noire » (Casterman). J’ai toujours adoré l’Histoire avec un grand H, les films et récits de guerre, la géopolitique. Je me suis toujours intéressé plus aux hommes qui décident de la marche à suivre qu’aux simples soldats. La guerre est au fond l’entreprise humaine qui réserve le plus d’ironie et d’absurde, ingrédients de mon humour préféré. Celui des Monty Python, George Carlin, Pierre Desproges, et encore de « Dr. Folamour » de Stanley Kubrick. Mon idée était aussi de traiter de sujets triviaux comme la crise de l’immobilier avec comme toile de fond les steppes de Russie envahies par les chars de la Wehrmacht.

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L’idée était de montrer qu’il s’agissait tous de fous furieux ?
Y. D. La guerre a beau être pensée, planifiée ou subie, les choses deviennent souvent incontrôlables, les enjeux flous et indiscernables dans le fameux « brouillard de la guerre ». J’ai beaucoup d’affection pour mes personnages, les chefs d’état-major qui s’emmêlent allègrement les pinceaux, qui tombent dans le délire. Bien que le contexte historique soit tout à fait authentique, je grossis le trait pour déployer une grammaire humoristique particulière et je n’ai souvent aucun effort à faire au regard de l’énormité de certaines situations ou de la dimension extraordinaire des personnages. Alors, oui, les Maîtres de Guerre sont fous, car la guerre est une folie !



Comment les avez-vous choisis ?
Y. D. J’ai voulu parcourir un peu l’Histoire dans l’ordre chronologique. Sun Tzu est un des premiers grands stratèges, puis Hannibal. Si possible, j’ai aussi l’intention de parler de Clausewitz, grand théoricien prussien, on ne peut pas l’oublier celui-là. J’aime certaines périodes plus que d’autres, avec une prédilection pour le XXe siècle et les deux conflits mondiaux, les plus meurtriers. Justement, c’est le siècle du cinéma et il est plus facile de se représenter Guillaume II ou Churchill qu’Hannibal ou Sun Tzu.

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Certaines histoires se focalisent sur des détails comme le vol de dents à Waterloo ou l’abondance de décorations lors de la Grande Guerre. Ce sont ces petites histoires qui vous font aussi aimer l’Histoire ?
Y. D. Tout à fait. C’est d’autant plus intéressant qu’il faut bien un angle d’attaque assez précis pour raconter une histoire, ou disons, une scène, en cinq pages. C’est du théâtre, en somme, et ce qui est formidable dans le théâtre, c’est la force propos et cela passe forcément par des dialogues. C’est d’ailleurs à partir de ces détails historiques qu’on peut se rendre compte des aspects aberrants de la guerre.



Chaque histoire est suivie d’une page explicative à la fois drôle et instructive. Il était important d’élever un peu le niveau de vos lecteurs ?
Y. D. C’est une question qui a été discutée avec l’éditeur et je la trouve très emballante. Cela me rappelle qu’on a parfois appris des choses en lisant de la bande dessinée ; et si on peut rire un coup, c’est encore mieux. J’ai un immense respect pour les lecteurs et j’attends, en tant que lecteur, le même respect. Nous sommes dans une ère de la simplification et du résumé, seulement, les réponses aux questions que nous nous posons ne sont jamais simples. 



Naviguer entre les époques vous permet de dessiner des uniformes très différents…
Y. D. Le plaisir est indéniable. Cela passe aussi par une recherche documentaire qui est enrichissante en soi. Certains dessinateurs ont des univers qu’ils préfèrent parce qu’ils ont la culture visuelle ad hoc. J’en suis. Quand on fait de la BD, il faut qu’à la lecture du scénario, les images apparaissent tout de suite ! Sinon, passer des heures à essayer de représenter des mondes un peu rébarbatifs peut devenir un vrai calvaire.

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Toutes ces histoires racontent des batailles sauf la dernière qui raconte une foire à l’armement. Ça ne finit pas vraiment sur une note optimiste ?
Y. D. L’album est un recueil de sketches, c’est vraiment un hasard que cela se termine avec la foire à l’armement. J’aurais pu choisir une histoire sur l’apocalypse thermonucléaire, là cela aurait été une sacrée note optimiste !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

“Les Maîtres de guerre » de Youssef Daoudi. Fluide glacial. 13,90 euros.

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