Mud : « Sid est un connard toutes options »

Avec son histoire violente et ses personnages déjantés, dans la lignée de Tarantino et des frères Coen, « Trenchfoot » se positionne clairement parmi les meilleurs récits de la collection Doggybags.

Vous avez déjà participé à la collection DoggyBags : Beware of Rednecks. Qu’est-ce qui vous plait dans cette Amérique profonde ?
Mud.
« Bone Pickers » pour le « Beware of Rednecks » a été ma première participation à la collection DoggyBags et c’est vrai qu’il y a des points communs entre ces deux projets. En fait « Trenchfoot » était l’occasion, avec son format plus long, de donner plus d’épaisseur à cet archétype du redneck, une personnalité plus fouillée. J’avais vraiment envie de le faire avant de passer à autre chose. Ce qui m’intéressait dans cette Amérique profonde, ce sont ces gens bouffés par des années de frustration et par la nostalgie d’une Amérique passée idéalisée, un âge d’or qui n’a en fait jamais existé: « Make America great again ! »

Est-ce difficile d’écrire en se mettant dans la tête d’un type comme ce Sid Widow?
M.
« Ce type est un connard ». Je voulais vraiment que cette phrase figure sur la quatrième de couverture et c’est vrai que Sid est un peu le modèle toutes options ! Mais je ne trouve rien chez lui que je n’aie pas déjà croisé. Il est bassement humain finalement.

« Trenchfoot » est rythmé par le rock. La musique vous accompagne voire vous influence durant l’écriture ?
M.
Avant la BD, toute ma vie tournait autour de la musique alors je pense que ça a laissé des traces (sourire). J’ai une playlist pour chaque histoire que j’écris. Ça me met dedans et ça me coupe de tout ce qui se trouve autour. Mais la musique est aussi un autre point commun avec mon histoire pour « Beware of Rednecks ». « Bone Pickers » était découpée en chapitres dont les titres étaient ceux de chansons à écouter en lisant. Les paroles des chansons ajoutaient un niveau de lecture supplémentaire. Dans « Trenchfoot », chaque morceau évoqué introduit un personnage secondaire et un trait de sa personnalité.

Hormis pour « Gimme the car » des Violent Femmes, vous ne citez pas les autres chansons entendues dans cet album…
M.
Il y a cinq morceaux dont les paroles figurent sur les pages de « Trenchfoot »: « Bitch Please » de Snoop Dogg est le premier et introduit le personnage de Cindy, peut-être mon préféré. Ensuite il y a « Shut Em Down » de Public Enemy. Les morceaux rock « Bailey’s Walk » des Pixies et « Gimme the Car » des Violent Femmes parlent de ce qui se rapproche le plus d’un pote pour Sid et de son père. Enfin, le dernier est « Shake it Off » de Taylor Swift ! C’est un petit clin d’œil à cette chanteuse country, idole de l’Amérique profonde jusqu’à ce que les bourdes de Trump ne deviennent gênantes pour sa carrière, car elle s’est toujours affichée comme une fervente républicaine. Enfin, les planches sont bourrées d’autres références musicales disséminées par Nico, le dessinateur. Bref, il y a de quoi se faire une bonne playlist !

Vous avez découvert le dessinateur Nicolas Ghisalberti sur Instagram. C’est original…
M.
En fait, je ne connaissais pas encore le travail de Nico quand j’ai écrit « Trenchfoot ». C’est en discutant du projet avec Run lors d’un repas dans un resto. Il m’a montré l’Instagram de Nico. Ça collait tellement avec ce que je cherchais que je n’ai pas hésité et Run l’a appelé dans la foulée. On peut dire qu’il avait tapé dans le mile !

Est-ce parce que son dessin s’inscrit dans le même style que de précédentes histoires de Doggybags ?
M.
C’est clair qu’il y a une griffe Doggybags ! J’imagine qu’on pourrait en dire autant de ce que j’écris. Il y a des dessinateurs dont j’adore le travail mais pour lesquels il me serait difficile d’écrire. Quand je rencontre quelqu’un pour un projet, je discute beaucoup avec lui avant même d’aborder le projet en lui-même. Des fois ça colle, d’autres fois ça ne colle pas. Avec Nico, on a vite accroché et on projette même de retravailler ensemble. C’est vraiment une chouette rencontre !

La morale de « Trenchfoot » prône une absence totale d’ambition personnelle. C’est une vision très désenchantée ?
M.
Je ne crois pas que Sid manque d’ambition. C’est plutôt l’imagination qui lui manque. Je crois que c’est pire. C’est ce qui rend ce personnage « tragique » et j’espère malgré tout attachant.

On pense immédiatement à certains réalisateurs en lisant « Trenchfoot ». Lequel imagineriez-vous adapter votre livre sur grand écran ?
M.
J’avais justement Quentin ce matin au téléphone qui me disait qu’il aimerait vraiment bosser une adaptation sur grand écran de « Trenchfoot ». Mais je suis embêté parce je crois que les frangins Joel et Ethan sont eux-aussi intéressés. Du coup, pour ne vexer personne, je vais peut-être plutôt dire oui à Vince pour son idée de décliner l’histoire sur un format série. Comment résister à sa proposition quand le type vous dit : « Your Sid Widow is really breaking bad, man ! »

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« DoggyBags one-shot: Trenchfoot » par Mud et Nicolas Ghisalberti. Ankama. 14,90 euros.

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