Marc Dubuisson: « Désacraliser les politiques »

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Avec « Charles Charles, profession président », Marc Dubuisson parle politique tout en évitant l’écueil de la parodie au premier degré. Il donne surtout un rythme d’enfer à sa série grâce à une construction maligne et une profusion de gags en quatre cases. Drôle et pertinent.

Pourquoi une série sur la politique ?
Marc Dubuisson. Je m’intéresse à la politique depuis très jeune. Je me suis souvent essayé au dessin d’actu mais cela ne me satisfaisait pas complètement car coller à l’actualité ne permet pas de prendre un certain recul. C’est justement ce recul qui permet de mieux appréhender les évènements et d’en retirer toute leur absurdité. J’avais envie de désacraliser les politiques et de les dépeindre comme ce qu’ils sont vraiment : de simples êtres humains. La politique est devenue un grand cirque médiatique dont les protagonistes sont à la fois les équilibristes et les clowns.



Les thèmes sont infinis. D’autres tomes sont envisageables ?
M.D. Je ne sais pas si les thèmes sont infinis mais ils sont en tout cas très nombreux, la politique faisant partie intégrante de notre vie quotidienne. D’autres tomes sont effectivement envisageables si le public est au rendez-vous.



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« Charles Charles » est bourré de clins d’œil à la vie politique, mais évite la parodie trop premier degré. Cet équilibre a été difficile à trouver ?
M.D. Je n’avais pas envie de faire une parodie directe car premièrement, il en existe déjà pléthore et deuxièmement, cela reviendrait à ne viser que quelques individus. Or la force de la politique, c’est que ses rouages sont universels. C’est cela que je voulais montrer. Même si certains personnages ou évènements rappellent des personnes ou évènements réels, le personnage principal, « Charles Charles », est un mélange d’hommes politiques de divers pays, qu’ils soient de droite ou de gauche. Il représente un humain normal avec un pouvoir et des responsabilités exceptionnels.

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Le trait de James y est aussi pour beaucoup. Comment est-il arrivé sur cette série et qu’est-ce qui vous a séduit dans son dessin ?
M.D. Je suivais le travail de James depuis longtemps déjà mais ne le connaissais pas personnellement. C’est par l’intermédiaire d’un ami commun que nous avons été mis en contact. Je lui ai alors envoyé les scénarios des premiers strips pour savoir si ça l’intéressait et à mon plus grand plaisir, c’était le cas. Ce que j’aime dans son dessin, c’est son trait dynamique, ses personnages zoomorphiques, sa justesse…

La structure de vos épisodes est originale puisqu’ils se déroulent sur deux pages avec sept strips de trois ou quatre cases tous conclus par un gag. Est-ce l’influence de l’écriture web ?
M.D.Plus que l’influence de l’écriture web, c’est l’influence de l’écriture télévisuelle. Le gag en une page ne permet pas un rythme de dialogues et de répliques soutenus car le tout est censé servir le gag, placé généralement en case finale. L’avantage des strips, c’est que ça hache le rythme. J’ai pensé la BD comme un mélange entre les daily comics américains et les programmes TV courts comme on en a de plus en plus depuis « Caméra café »: une suite de gags plus ou moins dépendants les uns des autres sur un thème choisi.



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Cela signifie 161 gags à trouver. C’est énorme. C’est un exercice plutôt ludique, méthodique ou fastidieux ?
M.D. Certainement les trois à la fois mais au final, ça reste ludique. C’est une écriture qui m’est extrêmement familière, un rythme que je maitrise bien. C’est finalement quand je m’éloigne de ce rythme que cela devient réellement fastidieux parce que les idées me viennent moins facilement. Le strip est un exercice de style difficile à appréhender mais une fois qu’on commence à le maitriser, la création devient une espèce d’habitude dont il est difficile de se défaire.

Qu’est-ce qui vous fait rire ?
M.D. L’absurdité de notre société, des interactions sociales. Les contradictions entre ce que l’on peut dire puis faire. Les bruits de pets aussi.


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Charles Charles est présenté comme le plus incompétent des chefs d’État. Dans certains épisodes, c’est davantage du cynisme. On a aussi l’impression qu’il évolue un peu au fil de l’album ?
M.D. Il a surtout plusieurs facettes, comme tout le monde. Ce n’est pas tant de l’incompétence que de l’inconscience de la portée de sa fonction. Je pense que les hommes politiques sont tellement enfermés dans leur microcosme, sur leur nuage un peu au-dessus du reste du monde qu’ils ne peuvent pas, même avec la meilleure volonté du monde, comprendre ce que les « vrais » gens attendent d’eux. Ensuite, Charles Charles n’est pas mû par l’ambition dévorante ou la soif du pouvoir. Ce qu’il veut, lui, c’est que les gens l’aiment. Il est arrivé à la Présidence comme on arriverait premier d’un concours de popularité. Son apparente incompétence vient simplement du fait qu’il a tellement pensé à son élection qu’il n’a jamais réellement envisagé les responsabilités qui en découleraient. Il ne réalise pas vraiment l’importance de sa fonction.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Charles Charles, profession président » par Marc Dubuisson et James. Delcourt. 10,95 euros.

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