Clémence: « C’était la fête de voir mes dessins imprimés, reliés, avec un vrai code-barres… »

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Pour un jeune auteur, pouvoir feuilleter son premier album de bande dessinée est un pur bonheur. Celui de Clémence est tout petit, comme un manga version franco-belge, et raconte avec beaucoup d’humour le quotidien d’une famille un peu bobo où des parents un peu laxistes doivent gérer enfants en pleine crise d’adolescence et grands-parents fraîchement divorcés.

Comment es-tu passée de l’illustration à la BD ?
Clémence. C’est arrivé progressivement. J’ai commencé exclusivement par l’illustration. Puis en 2004, j’ai rencontré une scénariste, Loo Hui Phang, avec qui j’ai travaillé sur un projet d’album assez conséquent. Malheureusement, après deux ans de travail et bien des péripéties éditoriales, il n’a pas vu le jour. Loin d’être stérile, cette expérience m’a beaucoup apporté. J’ai découvert un nouvel univers, une nouvelle façon de m’exprimer. Par ailleurs, mon travail alimentaire s’est réduit comme peau de chagrin et j’ai senti qu’il était temps de passer à autre chose. Si plus rien ne venait de l’extérieur, il fallait que cela vienne de moi. J’ai donc monté mon projet de « Rillettes au sucre » et j’ai ensuite surtout eu la chance de trouver le soutien de Lewis Trondheim.

En toute honnêteté, le monde de la BD m’est assez étranger. Ce que je ressens pour le moment dans le processus de création, c’est la grande liberté qui s’offre à moi. Je travaille sur « Rillettes au sucre » depuis un an et ça a sincèrement révolutionné ma vie. Mon rythme de travail est très différent, la façon de trouver des idées aussi. C’est palpitant comme aventure.

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C’est difficile de se faire remarquer quand on publie son premier album ?
C. Je serais évidemment ravie que mon premier album se fasse remarquer, mais pour le moment, ce qui prévaut, c’est plutôt l’enthousiasme de voir se concrétiser mon travail de petite fourmi! J’ai reçu mes exemplaires le 24 décembre et c’était la fête de voir mes dessins imprimés, reliés, avec un vrai code-barres… ça me remplit de joie de voir que l’album existe. C’est peut-être un peu naïf, mais pour le moment, ça me suffit amplement.

Ce nouveau format, qui propose de la BD franco-belge sous un format manga, va peut-être attiser la curiosité…
C. Je ne mesure pas trop les enjeux éditoriaux de la sortie d’un nouveau format et j’ai plutôt un peu de mal à quitter la phase de création. Il faut dire que j’ai toujours la tête dans le guidon, puisque je travaille sans relâche depuis un an et vais bientôt arriver aux deux tiers du tome 3.

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C’est un format qui te convient ?
C. Je me suis adaptée à ce format sans difficulté. À vrai dire, je n’y ai pas vraiment réfléchi, les choses se sont faites naturellement. Au tout début, ce qui était un peu intimidant pour moi, c’était la grosse pagination. 190 planches à faire, c’est un peu impressionnant. J’ai finalement trouvé mon rythme de travail. Sur les conseils de Lewis, j’ai avancé sans filet. Bien sûr, j’avais une petite idée de là où je voulais aller, mais j’ai travaillé au fur et à mesure, pour me laisser surprendre.

C’est assez excitant comme exercice, parfois un peu stressant aussi. J’ai toujours la crainte de sécher quand j’imagine les albums à venir, mais une fois que je suis dedans, les idées viennent, une histoire en appelle une autre.

Quelle était l’idée de départ de « Rillettes au sucre »?
C. J’avais envie de faire une chronique familiale, ponctuée par les aléas de la vie, ses surprises, ses déceptions. Raconter le quotidien d’une famille presque ordinaire, tisser avec mes personnages cette matrice familiale à la fois banale et unique. Au tout début, j’imaginais un ton peut-être un peu plus acide. En avançant, je me suis rendu compte qu’à force de m’attacher à mes personnages, je les décrivais avec davantage de tendresse.

Même si ce ne sont pas les seuls personnages de cette série, les ados me semblent être vraiment le cœur de « Rillettes au sucre »…
C. Effectivement, les trois enfants occupent une place assez centrale dans mes Rillettes. L’adolescence est vraiment une drôle de période, mais elle revêt des formes infiniment variées, et je ne prétends aucunement la décrire dans une quelconque globalité. J’ai surtout le souvenir d’un moment de liberté des sentiments. On expérimente des choses, on se trompe, on avance, on invente, on se projette. Mais finalement, je décris là une disposition plus générale face à la vie. Je ne sais pas ce qu’est un ado aujourd’hui, ni comment il est représenté, je propose ma vision des choses, nourrie de mes sentiments, c’est tout.

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Est-ce que tu figures en filigrane derrière l’un de tes personnages ?
C. Si l’on prend tous mes personnages, qu’on les passent au mixer, puis au tamis, c’est sûr que l’on va retrouver plein des facettes de ma personnalité. Je les nourris par petites touches d’éléments autobiographiques, je glisse ça et là des références à des anecdotes de ma vie, à des gens auxquels je tiens. Mais, ce n’est pas le propos de mon histoire de me raconter à travers eux, ni de donner à voir les souvenirs de ma vie familiale. C’est avant tout une pure fantaisie. Ce que l’on peut lire en filigrane, c’est mon attachement pour cet esprit de famille où malgré les bisbilles ou les accrocs, la tendresse domine. Le rire, l’amour et l’imagination nous sauvent alors de la cruauté.

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Ce premier tome devait justement présenter toute cette famille. Est-ce que cela veut dire que les tomes suivants seront un peu différents au niveau du rythme ?
C. D’un tome à l’autre, je vais essayer d’approfondir la problématique de chacun tout en restant dans la chronique familiale. Le scénario ne repose pas sur l’évènement, mais plutôt sur le temps qui passe, les liens qui se nouent ou se dénouent. On restera dans un registre de l’intime, pas du spectaculaire, mais j’espère que mes personnages s’épaissiront dans la durée et qu’ils sauront toucher le lecteur.

Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE

Le tome 1 de « Rillettes au sucre » de Clémence est paru en janvier 2010 chez Delcourt. 8,95 euros. Le second tome est prévu le 17 février prochain.

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