Amazing Ameziane : « 70% est véridique »

« Cash Cowboys » est un thriller dopé par l’action. Fasciné par les SAS, les forces spéciales britanniques, Amazing Ameziane a construit un récit haletant et explosif sur plus de 200 pages. Cette interview lui permet également de déclarer sa passion pour les comics.

Qu’est-ce qu’un Cash cowboys ? C’est un terme que vous avez inventé ?
Amazing Ameziane. Un cash cowboys est un mercenaire. J’aurai bien aimé inventer ce terme, mais je l’ai découvert dans un post Facebook d’Andy Diggle (« The Losers »). Je l’ai découvert comme Colomb a découvert l’Amérique et puisque personne ne l’utilisait pour faire du fric, je l’ai adopté, lui ai offert un nid douillet et 200 pages de thriller d’action. Le livre devait s’intituler « Sam Hicks : Cash cowboys ». Les éditions du Lombard ont suggéré juste « Cash cowboys » et comme toute l’histoire est racontée du point de vue de quatre personnages principaux comme dans le film « Rashomon » et qu’ils recherchent tous Sam Hicks, j’ai pensé que c’était une bonne idée. Et puisque Sam Hicks tombe d’un avion dès les premières pages, si on veut faire la suite, ça aurait pu poser problème…

Qu’est-ce qui vous fascine dans ces soldats, anciens membres des SAS ?
A. A. C’est le mythe autour d’eux. Dans toutes mes recherches pendant toutes ces années, j’ai découvert des histoires incroyables. Et contrairement à l’US Army ou la CIA, il a peu de sources fiables, car l’armée de Sa Majesté n’aime pas trop se vanter de ses missions. Le flegme britannique sans doute. C’est pour cela que beaucoup d’ex-SAS deviennent des romanciers. Ils ont l’habitude de raconter des versions alternatives de leurs exploits.

Je vais prendre un exemple : le Sky Diving. C’est une technologie qui a été inventée et brevetée par les SAS. Imaginez le premier mec qui a sauté d’un avion, de nuit, sans parachute, juste avec sa combinaison d’écureuil pour surprendre l’ennemi. Il devait avoir une sacrée paire de noisettes ! Du coup, depuis que le public a eu accès au Sky Diving, ils filent de la thune au SAS. Et seuls les plus fous tentent ce truc. Pour les SAS, c’est simple comme un lundi.

Les SAS sont aussi ultra respectés comme forces spéciales au niveau mondial, que ce soit le SAS (Secret Air Service) ou le SBS (Secret Boat Service). Ils sont numéro 1 devant les Delta, et pourtant ils n’ont pas le même budget. Le GIGN n’est pas loin, plutôt en quatrième position il me semble, car ils ont servi d’exemple à beaucoup d’autres forces spéciales à travers le monde après Munich en 1972. Mais les exploits des SAS (même s’ils ne s’appelaient pas comme ça l’époque) remontent à la Seconde Guerre mondiale.

Quel est le profil de ces hommes ?
A. A. Ce qui m’éclate le plus, c’est qu’ils ne ressemblent pas à des bourrins sous hormones qui soulèvent de la fonte toute la journée. C’est la différence entre The Rock et Jason Staham, que l’on peut admirer dans ce petit film quasi documentaire sorti cet été. Dans la vraie vie, c’est des mecs normaux que tu peux rencontrer dans un pub. Tu vas en bousculer un parce que tu es bourré et il va te casser en 20, comme ça, parce que tu as ruiné sa chemise préférée. Ils sont résistants, intelligents et courageux. Il faut l’être, car une bonne partie de leurs missions se passent derrière les lignes ennemies, que cela soit en Irlande ou en Irak. Presque tous les ans, ils organisent une série d’épreuves sur plusieurs jours pour sélectionner ceux qui auront le cran de devenir des SAS. Course de montagne, résistance à la torture, c’est hardcore. Ils disent que « la mort est la façon la plus directe que la nature a eue pour t’annoncer que tu as échoué à la sélection des SAS ».

Avez-vous eu un déclic qui vous a donné envie d’écrire sur ce sujet ?
A. A. Cela a été la lecture de Garth Ennis. Plus spécialement de « Hitman ». C’est une série DC géniale qui a connu plusieurs périodes différentes. Au début, c’est complètement loufoque avec un tueur à gages qui se fait choper par un démon et obtient le pouvoir de voir à travers la matière solide que cela soit les murs ou le costume de Catwoman (sourire). On a un passage dans un zoo où nos amis tueurs à gages sympathiques éclatent des animaux zombies à la batte de baseball. Puis, ça prend un tour plus sérieux et notre petite équipe se retrouve avec un contrat sur la tronche par des SAS parce qu’ils ont causé la mort de leurs collègues lors d’un accrochage en Irak durant Desert Storm. Ce dont ils ne se souviennent même plus. Ces SAS sont si balèzes qu’ils arrivent à mettre minable, nos amis, ceux-ci même que nous pensions être imbattables. Ennis a intégré une touche de réalisme dans cette série qui se passait à Gotham et ça a fait clic chez moi. Et je pense qu’il utile de préciser aussi que James Bond est un SAS.

Dans « Cash cowboys », vous évoquez la deuxième carrière de ces militaires…
A. A. Pour les ex-SAS, ce qui me branche, c’est de savoir ce que ces gars surentraînés font après 45 ans, âge où ils sont mis à la retraite. Certains restent dans l’armée. D’autres deviennent alcooliques, car incapables de trouver un job où le fait de savoir étrangler un homme avec un câble de batterie pourrait être une expérience utile. Beaucoup bossent ou montent des entreprises privées de sécurité. Par exemple Brad Pitt et Angelina Jolie avaient engagé des ex-SAS pour leur sécurité pour un montant de 10 millions de dollars par an. Voilà pourquoi on n’a jamais entendu parler de fans qui pénètrent chez eux ou du kidnapping de l’un de leurs enfants. Et puis il y a ceux qui tournent mal, qui bossent pour des narcos ou qui s’engagent dans des armées privées, car accros à l’adrénaline. Ça ressemble beaucoup à mon livre, parce que 70% de ce qu’il y a dedans est véridique ou basé sur des faits réels.

Est-ce que « Cash cowboys » est une sortie de mise en garde face à l’augmentation des sociétés militaires privées ?
A. A. C’est plutôt une constatation. Le monde du secteur privé pense pouvoir faire ce qu’il veut dans tous les domaines et tout déréguler à sa guise, mais ils ont tous besoin d’argent public pour fonctionner ou quand ça va mal. La violence d’état pareillement à la violence individuelle doit pouvoir répondre des conséquences de ses actions. Si on décide de tirer sur son propre peuple, cela doit avoir des conséquences. Le secteur privé est uniquement mû par l’appât du gain et la redistribution des dividendes aux actionnaires. Ils ne devraient pas pouvoir avoir accès à des moyens de répressions, que ce soit sur sa propre nation ou sur une autre. Car chaque décision ne sera prise qu’à travers un seul objectif : faire plus de fric. Et dans ce cas précis, on ne parle pas de déforestation ou de bébés phoques, on parle de vies humaines. C’est pour cela que le méchant de l’histoire est un milliardaire blanc ultranationaliste religieux. Là, on a le tiercé dans l’ordre.

« Cash cowboys » ressemble davantage à un comics qu’à une bande dessinée franco-belge. Quelles ont été vos influences ?
A. A.« Cash cowboys » est un comics à 100%. Je l’ai même découpé en épisode d’une vingtaine de pages. Seuls l’éditeur et le format sont franco-belges. Des influences, il y en a trop alors je vais faire court : Frank Miller, David Mazzuchelli, Darwyn Cooke, Brian Azzareillo & Eduardo Risso, Alex Toth, John Buscema, John Romita Jr, Jack Kirby, Jason Aaron & Rm Guera, Mike Mignola, Andy Diggle & Jock, John Paul Leon, Steranko et Bill Sienkiewicz. Et dans la nouvelle génération : Goran Parlov, Marcos Martin, Javier Pulido, Victor Santos, Roland Boschi, Daniel Acuña, David Aja et Tonci Zonjic.

Le comics vous semble plus approprié à une bande dessinée d’action ?
A. A. Je dirais que c’est à cause de Stan Lee. C’est toujours la faute à Stan Lee de toute façon, d’une manière ou d’une autre. Il a créé un électrochoc en 1962 avec la création de Marvel Comics et surtout avec la « Méthode Marvel » qui consiste à donner un synopsis à un dessinateur. Une fois que l’artiste s’est bien amusé, tu ajoutes tout un tas de dialogues, de bulles de pensées et la voix du narrateur. J’ai utilisé cette méthode sur les matchs de boxe dans « Muhammad Ali ». J’ai tout mis au point visuellement et Sybille a écrit les textes de certains combats après. Cette méthode permet à l’artiste de mettre place tous les éléments visuels avec grande liberté et le scénariste a lui le plaisir d’écrire le texte en regardant les images. Il peut aussi ajouter l’ultime touche, qui va permettre de mettre en avant un détail qui complétera la lecture. La BD est un art visuel. On peut faire une BD sans texte. Si tu fais l’inverse, cela ne se vendra pas au même rayon dans une librairie.

On ressent aussi l’influence de Frank Miller…
A. A. Par principe, le comics a un format plus petit et a donc besoin de plus de pages pour avoir une histoire complète. Pendant des années, les pages étaient très lourdes en textes (Stan Lee ou Chris Claremont nous racontaient tout ce qui passait par la tête de leurs personnages), mais un petit gars a décidé de pousser le comics dans une direction inédite, c’était Frank Miller. Il a mis au point la décompression de l’histoire avec ses cases en cinémascope et tout le monde a bien pigé à quel point cela allait libérer la narration. C’est devenu l’ADN du comics moderne. Les histoires sont plus longues, tu as plus de place pour y approfondir les personnages et les scènes d’action peuvent être plus impressionnantes, car tu peux sacrifier une pleine page ou même une double page. Tout cela était déjà parfaitement utilisé dans « Daredevil » et a été perfectionné dans « Ronin ». Ce livre est immense, 6 x 48 pages. Les deux personnages principaux (Ronin et Casey) ont chacun un type de narration particulière avec une grille de cases reconnaissable. Et luxe suprême, chaque séquence importante du livre est séparée par une double page où l’on voit l’évolution d’Aquarius.

Ce format vous offre une plus grande diversité de mise en page ?
A. A. Quand tu racontes une histoire avec un brin de suspens, c’est très important que le lecteur puisse avoir la surprise en tournant la page et pas sur la case d’à côté comme c’est souvent le cas en bande dessinée par faute de place. En comics, chaque page a un but précis pour faire avancer l’histoire. Du coup, tu peux personnaliser cette page au niveau de sa mise en page. Dans « Cash cowboys », on suit des personnages qui avancent de nuit pour surprendre nos héros. On tourne la page et ça explose avec un « boom » gigantesque dans une pleine page. En bande dessinée, tu as un nombre de pages réduit, et tu dois mettre toute l’histoire dedans. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des space operas avec des pages à 18 cases. Ceci explique que le comics et le manga ont autant de succès.

Le scénario reste toujours la priorité de vos histoires ?
A. A. Quand tu fais du comics, comme « Cash cowboys » sur 200 pages, tu dois aller à l’essentiel, donner aux lecteurs une histoire à suspens qui tient la route et aussi des dessins qui font plaisir aux yeux. Chaque page n’a pas besoin d’être une illustration, car le lecteur ne passera qu’une minute dessus. Le plus important est qu’il soit captivé par l’intrigue, pas qu’il bave sur les pages. Ceux qui sont des illustrateurs avant d’être des narrateurs quittent très souvent la BD pour faire juste de l’image. C’est trop de boulot sur le long terme. Ce que j’aime, c’est de raconter des histoires. Les plus longues possible et dans des genres les plus variés.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Cash Cowboys » par Amazing Améziane. Le Lombard. 22,50 euros.

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