ZOOM SUR LA BD FINLANDAISE

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Très active, la bande dessinée finlandaise a fini par s’imposer chez elle face aux comics américains. Mais malgré des efforts de promotion, elle a encore du mal à s’exporter faute de traductions.

Ils sont sans doute les personnages de BD finlandais les plus connus à l’étranger: les aventures des « Moumines » – ce peuple de trolls ressemblant à des hippopotames, créés dans les années 50 par l’illustratrice Tove Jansson – ont été traduites dans une vingtaine de langues et diffusées dans une quarantaine de pays. Comme Astérix chez nous, ces personnages qui évoquent d’abord la sécurité et la douceur ont aujourd’hui leurs produits dérivés, dessins animés, jeux vidéos, magazine et même parc d’attraction. muumi-1.jpg

1911, la première BD finlandaise

La première bande dessinée finlandaise date de 1911: « Professori Itikaisen Tutkimusretki » (« L’expédition du professeur Itikaisen ») d’Ilmari Vainio, l’histoire d’un savant qui part explorer le monde à bord d’un bateau à vapeur et qui découvre entre autres le Pôle Nord.

fogelberg_pekka.jpgEn 1917, Ola Fogelberg, alias Fogeli, publie « Janne Ankkanen » et dresse au travers des aventures de ce canard une critique acerbe de la société. De la même façon, à partir de 1925, l’artiste se servira de sa série humoristique « Pekka Puupää » (« Pierre Tête-de-Bois ») pour dénoncer le régime et la montée d’une droite intolérante. Publiée d’abord dans le journal Kulutajain Lehti puis en albums, « Pekka Puupää » est l’une des séries les plus populaires du pays. A la mort de Fogeli en 1952, elle est reprise par sa fille Toto Fogelberg.

alho_asmo_kiekujakaiku.jpgJusqu’en 1940, la bande dessinée finlandaise profite de l’apparition de journaux qui lui ouvrent leurs colonnes et de magazines spécialisés. De nombreux auteurs s’y expriment: Hjalmar Löfving (« Olli Pirteä »), Gösta Thilen (« Herra Kerhonen »), Alexander Tawitz (« Junnu »), Eijo Vesanto (« Saku Sämppÿula ») déjà très influencé par le comic américain qui commence à arriver, ou encore Asmo Alho. Dans l’hebdomadaire Kotiliesi, ce dernier évoque de 1932 à 1975 la vie quotidienne finlandaise à travers un couple de poulets s’exprimant… en vers (« Kieku ja Kaiku »).

La suprématie des comics d’outre-Atlantique

Aku-2.jpgDans les années 40 pourtant, la concurrence des comics venus d’Amérique est si forte que la production locale en pâtit et se raréfie. Flash Gordon et Superman, beaucoup moins chers à diffuser, entrent dans les foyers finlandais. A partir de 1951, la revue Aku Ankka avec Mickey, Donald et les autres fait son apparition. Elle culminera même à 310.000 exemplaires dans un pays de 5 millions d’habitants!

Entre les Mickey Mouse et Buffalo Bill, des auteurs réalistes parviennent néanmoins à se frayer un chemin comme Aimo Hauhio et ses récits de science-fiction; Veikko Savolainen qui créé « Joonas » en 1950. joonas.jpg
Mais il faut attendre les années 70 pour que la bande dessinée finlandaise se redresse, profitant notamment de l’émergence de nouvelles idées et de courants alternatifs, du développement de la culture populaire et des mouvements estudiantins.

Renouveau de la BD nationale dès les années 70

La Suomen Sarjakuvaseura (The Finnish Comics Society), un club chargé de promouvoir la bd finlandaise, est créé en 1971. L’Etat commence aussi à apporter son soutien financier à la bande dessinée nationale.

Et même si les Finlandais ont encore tendance à voir la bande dessinée comme Donald Duck, donc de la lecture pour enfants, de plus en plus de dessinateurs et scénaristes finlandais sont édités.

Mammila_pois_tielta_WEB.jpgTarmo Koivisto et Juba Tuomola comptent parmi les plus connus. Tarmo Koivisto publie en dix albums, entre 1975 et 1996, la série « Mämmilä » qui raconte la vie d’un village de Finlande, une œuvre récompensée par de nombreux prix en Finlande et dans l’ex-URSS. Koivisto a également fait partie d’une éphémère revue axée exclusivement sur la BD finlandaise, Sarjis (1972-1974) qui a publié aussi Veli-Pekka Alare (« Pekko ») ou Jope (« Näkymätön Viänänen »).

« Viivi et Wagner » de Juba Tuomola raconte la relation bizarre d’une jeune femme émancipée et d’un cochon macho. La série publiée depuis 1997 dans le Helsingin Sanomat est lue par près d’un million de personnes chaque jour.

WAGNER.jpgNotons qu’alors que la bande dessinée française est essentiellement publiée en album, les auteurs finlandais ont du mal à vivre de ce seul moyen de diffusion. Leurs BD peuvent donc se lire dans presque tous les journaux nationaux et régionaux et ce n’est souvent que plus tard, que les histoires parues dans la presse sont réunies sous forme d’albums.

Pour aider les dessinateurs, scénaristes et traducteurs de BD, l’Association des auteurs de B.D. de Finlande (Sarjakuvantekijät ry.) a d’ailleurs été créée en 1995. Ce syndicat apporte aide et information aux professionnels sur le plan pratique comme la rémunération, les droits d’auteurs ou les aides publiques dont ils peuvent bénéficier.

Soutien à la production nationale en Finlande et à l’étranger

Chargés de soutenir la production nationale (même s’ils présentent aussi des œuvres étrangères), deux festivals de bande dessinées se sont créés à quelques années d’intervalle : le Helsinki Comics Festival en 1979, organisé par La Suomen Sarjakuvaseura, et le Kemi Comics Festival fondé en 1981 qui remettent chacun des prix, les Puupäähattu pour le premier, les Lempi pour le second.

kovacs.jpgLe Puupäähattu 1999 (du nom du chapeau du fameux personnage de Fogeli, Pekka Puupää) a ainsi récompensé l’un des principaux auteurs féminins de BD en Finlande: Kati Kovacs, dont l’album « Sirrka, la fille des rues » a été traduit en français aux Editions de L’An 2. Sirkka c’est une petite fille qui vit nue, dans les rues, sous des cartons. Elle fuit ses parents qui se livrent une véritable guerre conjugale. Au fil des pages, elle rencontre notamment un pseudo-pingouin scientifique, une colonie de scarabées atteints de choléra qui la choisissent pour reine, un savant fou adepte de la phrénologie, une vieille pute, etc.

9TET015_cg.jpgParmi les rares œuvres disponibles en français, citons également « L’amour au dernier regard » (Frémok) de Turunen>, « Mr Mokomat » (aux Editions Dernier Cri) et « Holmenkollen » (L’Association) de Matti Hagelberg ou « L’héritage du moine Abélard, tribulation d’un Finlandais à Paris » d’Heikki Paakkanen (Editions Tête-Rock Underground). Ces artistes et une quinzaine d’autres ont d’ailleurs participé, en janvier 2001 à Paris, à une exposition intitulée « BD@fi – La bande dessinée et les technologies modernes » organisée par l’Association des auteurs de BD de Finlande (Sarjakuvantekijät ry.) en collaboration avec la Société Finlandaise de la BD (Suomen Sarjakuvaseura) et l’Institut Finlandais à Paris.

L’Institut finlandais est plutôt actif en matière de bande dessinée puisqu’au printemps 2004, il a également organisé en collaboration avec l’Association des auteurs de BD de Finlande, une exposition intitulée « La Quadrature des bulles » ainsi qu’un colloque sur « l’architecture dans la bande dessinée ».

holmenkollen.jpgComme l’explique l’Institut à propos de cette expo : « entre la maison de Moumine de Tove Jansson et les constructions des BD de Matti Hagelberg, il y a place pour tout un monde de fantaisie, de rêves et de visions de cauchemar issus du bâti qui nous entoure ». D’ailleurs, note l’Institut finlandais, les dessinateurs de BD finlandais sont nombreux à avoir fait des études d’architecture (Pertti Hämäläinen, Timo Kokkila, Rauli Nordberg, etc), tandis que les architectes finlandais se sont aussi très vite exprimés au moyen de la BD ou du dessin humoristique (Gene Kurkijärvi, Ville, Ilkka Laitinen, Harri Hannula, etc).

On le voit, les actions de promotion de la BD finlandaise ne manquent pas. Elle reste cependant encore un mystère pour bon nombre de bédéphiles.

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