YOSSEL, 19 AVRIL 1943

Un jeune juif est enfermé avec sa famille dans le ghetto de Varsovie. Doué en dessin, il raconte l’enfer à travers ses croquis. « Une oeuvre de fiction basée sur un cauchemar qui a réellement eu lieu». Poignant.

Joe Kubert est une véritable légende de la BD américaine. il est le créateur de Tor, de Mighty Mouse, et s’est fait plus particulièrement connaître en travaillant sur Hawkman, Firehair, Tarzan ou encore Sergent Rock. Fondateur de la Joe Kubert Art School, une école spécialisée dans la formation aux professions des arts graphiques et de la BD, Kubert a également réalisé des oeuvres plus personnelles comme « Fax from Sarajevo ».

« Yossel » est aussi de celles là. L’ouvrage est né d’une question. En 1926, alors qu’il n’a que quelques mois, Joe Kubert quitte avec ses parents la Pologne pour l’Amérique. Il grandit donc loin de l’Europe, de la guerre et des nazis. Mais que se serait-il passé si ses parents n’avaient pas émigré et si ensemble ils avaient directement vécu l’Holocauste?
Dans cet album de 120 pages, au papier de grande qualité, Kubert plonge le lecteur au cœur du ghetto de Varsovie dans lequel est enfermé Yossel, un jeune juif doué pour le dessin qui retranscrit les horreurs qu’il observe: l’insalubrité des conditions de vie à l’intérieur du ghetto, la faim, la maladie, les cadavres abandonnés dans les rues, les familles « choisies » pour être emmenées dans les camps d’extermination…

Mi-roman mi-BD, l’ouvrage se compose de croquis et de textes apposés mélangeant descriptions et dialogues. Le dessin est resté à l’état de crayonné, sans encrage pour mieux « conserver le sentiment d’urgence » de ces croquis saisis sur l’instant, explique l’auteur dans la préface. Sur le fond, outre les données historiques, Kubert s’est servi des histoires racontées par ses parents et de lettres reçues d’amis et de membres de sa famille pendant et après la guerre.

Si bien que, même s’il n’a pas été réellement vécu, le témoignage de l’horreur du ghetto est bouleversant. « Bouleversant », le mot devient trop faible lorsque Kubert fait entrer en scène un prisonnier évadé d’un camp de concentration. Ne sachant où aller, il se réfugie parmi son peuple dans le ghetto et raconte à Yossel et ses compagnons ce qu’il a vécu. Les wagons bondés transportant des êtres humains comme du vulgaire bétail, les prisonniers affamés s’entassant dans les baraquements, les cris de terreur et les grattements d’ongles contre la porte des chambres à gaz, les cheminées crachant des fumées noires, l’odeur des chairs brûlées, les cadavres dépouillés de la moindre dent en or… Il n’y a guère de mots capables de décrire cette abomination qui laisse les yeux humides et la gorge nouée, les croquis de Kubert y parviennent.

Mais l’auteur n’as pas seulement voulu montrer les juifs comme des victimes: « Yossel » est aussi l’histoire d’un combat, celui engagé par des juifs désespérés qui ne voualient pas mourir les bras baissés. Le 19 avril 1943, date reprise en titre de l’album, est le début de l’insurrection du ghetto de Varsovie organisée par quelques milliers de juifs dont à peine quelques centaines étaient armés. Les nazis voulaient « nettoyer » le ghetto en deux ou trois jours, il leur en faudra plus de 30.

Oui, « Yossel » n’est qu’une oeuvre de fiction, oui la grande force d’autres ouvrages traitant de la Shoah (comme « Maus » de Spiegelman) est d’être autobiographique, oui Joe Kubert a échappé à l’Holocauste et il n’est pas le jeune Yossel… mais des Yossel, il en a réellement existé, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants exterminés comme des animaux au nom d’une idéologie. Alors oui, l’ouvrage de Kubert est une réussite et participe pleinement au devoir de mémoire.

Le site de Joe Kubert

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