TCHERNOBYL MON AMOUR

Une oeuvre puissante sur la véritable conspiration du silence à laquelle ont participé gouvernements et médias: la catastrophe nucléaire de Tchernobyl.

Quand la vérité n’est pas belle à dire alors souvent on préfère la taire. C’est le constat que va tirer la journaliste Chris Winckler chargée de réaliser une série d’articles sur le 20e anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. Le mensonge à Tchernobyl ce n’est pas seulement le nuage radioactif qui après avoir traversé l’Allemagne et la Belgique a miraculeusement « évité » la France. Ce sont aussi les habitants de la ville d’à côté qui ont regardé l’incendie de leur fenêtre ouverte plusieurs jours durant. Ce sont surtout des milliers de personnes sciemment sacrifiées en Ukraine pour enrayer un incendie provoqué par une expérience risquée des techniciens de la centrale le 26 avril 1986. Ces « liquidateurs » venus éteindre le brasier et enfermer le réacteur dans un sarcophage ont été gravement irradiés, faute de protections et d’informations suffisantes. Et pourtant, sans eux, une grande partie de l’Europe serait devenue inhabitable: les scientifiques soviétiques savaient que si l’incendie n’était pas éteint pour le 8 mai, le combustible en fusion provoquerait une explosion 20 à 50 fois supérieure à celle d’Hiroshima. Heureusement pour nous, l’incendie fut maîtrisé le 6 mai…

Extrêmement bien documenté, « Tchernobyl mon amour » – référence explicite au « Hiroshima mon amour » de Duras – dévoile donc la face cachée de l’accident nucléaire. L’héroïne de Chantal Montellier est la même que celle des « Damnés de Nanterre », BD nominée pour le meilleur album au dernier festival d’Angoulême sur la cavale meurtrière de Florence Rey et Audry Maupin en 1994. Ici, en 96 pages mi-document mi-fiction également, la dessinatrice relate de façon simple les événements et les différents chiffres qui ont fait le grand écart selon les sources.

Le trait est réaliste ce qui n’empêche pas Chantal Montellier de laisser libre cours à des images délirantes en mettant en scène les cauchemars de Chris Winckler. Etres monstrueux, plaies à vif et enfants qui luisent la nuit côtoient, dans de savants montages colorés et un découpage très libre, des masques aux bouches scotchées ou des montagnes de crânes humains. Un univers graphique surprenant et dérangeant qui renforce le malaise que l’on éprouve en lisant l’ouvrage et qui n’est pas prêt de se dissiper: avec des fissures et des interstices dépassant les 200m2 au total sur le sarcophage, l’avenir n’est guère rassurant…

Vingt ans après le drame, Chantal Montellier signe une oeuvre puissante indispensable qui vaut largement son prix.

Actes Sud

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