LF Bollée : « Brazil change des héros intrépides »

brazil.jpg

Quarante-deux ans après le dernier tome de Greg et Vance, Bruno Brazil reprend du service pour reformer le commando Caïman et enquêter sur une série de meurtres liés à la conquête spatiale. Laurent-Frédéric Bollée, le scénariste de ces « Nouvelles aventures », revient sur cette reprise ambitieuse et très excitante.

brazil.jpgQu’est-ce qui vous plait dans ce personnage de Bruno Brazil ?
LF Bollée. (© photo Fab Jouss) J’aime son côté rugueux et sérieux, le fait qu’il soit d’évidence un quadra, capable de participer à de l’action tout en gardant un côté de « Commandant »! Ses cheveux blancs sont une trouvaille géniale, ce qui lui confère instantanément une maturité qui change des héros intrépides. En fait, je crois qu’on comprenait instantanément (à part dans les tout premiers épisodes) que ce personnage n’est pas totalement lisse, qu’il a des failles, des interrogations, un certain recul sur les événements… et que le drame rôde en permanence autour de lui, que ce soient des menaces criminelles ou des blessures intimes.

Personne n’a eu l’idée de relancer cette série depuis le dernier tome de Greg et Vance paru en 1977 ?
LF B. Si, il est de notoriété publique que Van Hamme n’a pas été loin de reprendre Bruno Brazil compte tenu des fonctions de Greg aux USA qui l’empêchait de se concentrer comme avant sur son métier de scénariste – mais finalement, Van Hamme et Vance ont bien créé « XIII »! Et on sait que Greg lui-même n’avait jamais oublié son personnage, vu qu’il a écrit des histoires courtes jusqu’en 1983 et qu’il y a la fameuse « Chaîne rouge », un album inachevé dont Vance a dessiné les six premières planches en 1980 (et qui figurent d’ailleurs dans la version Tirage de Tête de « Black Program T1 », chez l’éditeur Khani). 



brazil1.jpg

Ce nouveau tome s’inscrit dans la continuité de « Quitte ou double pour Alak 6 ». Ce n’est pas le plus simple pour démarrer une nouvelle série ?
LF B. Actuellement, dans les reprises ou même les « licences », on assiste plutôt à des reboots (je n’en peux plus de voir le jeune Peter Parker se faire piquer par une araignée radioactive), ou de la modernisation (l’exemple de la série TV « Sherlock » est brillant). Le reboot n’a jamais été une option pour moi, car revenir à la jeunesse de Brazil, quand il débute sa carrière d’agent secret, façon « Le Requin qui mourut deux fois », ne m’attire pas plus que ça, il est trop lisse et trop « James Bond », trop manichéen sans doute aussi, sans assez de vécu… La modernisation, d’un autre côté, ne m’attirait pas plus que ça, sans doute pour éviter la facilité et la recette trop commerciale.
Honnêtement, l’idée de repartir là où Greg et Vance s’étaient arrêtés est de loin la meilleure, non ? Cela permet de prolonger « l’héritage » et un certain délicieux effet rétro (mais pas trop) tout en, surtout, partant d’une situation rêvée pour tout scénariste : celle d’un homme en quasi-dépression, doutant de tout, de son métier, de sa famille, contraindre de continuer son métier tout en se posant mille questions sur la vie, la mort, le deuil et même les secrets cachés des organisations les plus puissantes qui soient comme la Nasa…

« Les aventures de Bruno Brazil » se déroulent dans les années 70. Vous aviez l’envie d’une histoire à l’ancienne davantage centrée sur les personnages que sur des artifices technologiques ?
LF B. Je ne suis pas complément certain que votre assertion soit exacte, sans vouloir vous offenser… (rires). Prenons l’exemple parfait d’une « histoire à l’ancienne », comme vous dites, connue de tous : « Blake et Mortimer ». On ne peut pas dire que ce soit le modèle de BD où les personnages sont fouillés, bien au contraire, on n’a l’impression de ne rien connaître de la vie « intime » de nos deux héros (je parle bien de la période Jacobs, nos amis Van Hamme et Sente ont quand même récemment ouvert des brèches à ce niveau, et c’est tant mieux), et je ne parle même pas d’Olrik qui est un grand méchant dont on ne sait rien de l’enfance et de la jeunesse, qui ont pourtant dû être fondatrices de sa personnalité…
brazil2.jpg

Ceux qui me lisent depuis mes débuts dans la BD savent que j’ai toujours fouillé mes personnages pour leur donner des fêlures et qu’ils ne soient, jamais, parfaits. Je ne parle pas de héros, mais bien de « personnage principal ». Il se trouve que Greg, avec Bruno Brazil, a fait de même finalement. Brazil est assez froid, méthodique, un peu trop « chef » parfois. Mais il subit des problèmes qui parfois relèvent du quotidien… On sait que Greg a un peu provoqué cela artificiellement en voulant finir la série, mais il se trouve qu’il ne l’a jamais fait complètement non plus et que le personnage a quand même continué d’exister. De ce fait, il m’a offert à distance un terreau fertile sur lequel j’aurais bien tort de ne pas essayer de faire pousser quelques graines (rires) !

brazil3.jpg

Dans ce premier tome, Bruno Brazil doit reconstituer son équipe…
LF B. Le Commando Caïman a certes été décimé dans le dernier album « régulier » de la série d’origine (« Quitte ou Double pour Alak 6 »), mais de là à faire comme s’il n’existait pas ou plus… non ! Deux de ses membres sont morts, deux autres ont été grièvement blessés : Whip Rafale et Tony Nomade. Je ne me voyais pas les « enterrer » eux aussi, ils font partie de l’histoire et ils sont vivants : il faut qu’on les revoie, c’est à la fois logique et intéressant. Et du coup, on a bien un « team » qui se (re)constitue. Mais plus rien ne sera comme avant dans le Commando Caïman, ça c’est sûr…

Avec Philippe Aymond, un habitué de ce type d’histoire avec « Lady S », avez-vous cherché une certaine cohérence graphique avec les albums de William Vance ?
LF B. Forcément, car nous reprenons bien un personnage qui a déjà une existence visuelle. Il serait idiot de ne pas dessiner Brazil avec une mâchoire carrée et des cheveux blancs, Morales avec une moustache, Whip Rafale avec des cheveux noirs et le Nomade avec des cheveux courts ! Mais pour ce dernier notamment, nous avons quand même apporté un changement notable, je n’en dis pas plus pour ceux qui n’ont pas encore lu l’album… ! Ensuite, nous avons gardé quelques éléments d’habillage, chers à Vance, comme le nom du héros ou le titre de l’album qui figurent dans les planches, au début, comme dans un générique de cinéma.
Après, il est certain que tout autant Philippe vis-à-vis de Vance ou moi vis-à-vis de Greg, on est dans le respect le plus total, mais aussi dans la volonté et l’ambition de se réapproprier le(s) personnage(s) et de les faire à notre façon, avec notre vision et notre « indépendance » de 2019… d’où ces « nouvelles aventures de Bruno Brazil »!

« Les Nouvelles aventures de Bruno Brazil, Tome 1. Black Program » par Philippe Aymond et Laurent-Frédéric Bollée. 14,45 euros. Le Lombard.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

brazil4.jpg

Share