Fred Duval : « Parler du dopage sans jugement »

Pour parler du dopage dans le cyclisme, Fred Duval a opté pour une course poursuite entre deux jeunes coureurs amateurs, la mafia russe et la brigade des stupéfiants. Véritable polar, « Les porteurs d’eau » est aussi une intéressante immersion dans le côté sombre du sport amateur.

Est-ce que le choix d’écrire sur le dopage découle d’une passion pour le cyclisme ?Fred Duval. Il y a deux choses : d’abord le sport cycliste que j’ai pratiqué dans ma jeunesse, un peu plus que d’autres adolescents mais pas au point de prendre une licence dans un club. Ensuite, il y a le sport professionnel, spectacle médiatique. Je suis surtout le Tour de France, et certaines grandes courses d’un jour comme le Paris-Roubaix. Je suis viscéralement attaché au Tour de France depuis mon enfance. porteurs5.jpgMon père a pratiqué le cyclisme dans des clubs amateurs et, à la maison, l’arrivée du Tour était un rendez-vous immanquable, alors qu’on ne regardait pas le foot. Depuis une quarantaine d’années, j’avoue suivre les étapes, même de plaine, devant mon écran et connaître un peu les tactiques de course, parier avec un copain par SMS sur le vainqueur du jour à 40 km de l’arrivée…



Vous pratiquez encore le vélo ?F.D. De nos jours, je ne suis pas un adepte du vélo comme moyen de déplacement en ville : quand je sors à vélo, c’est pour faire 40 kilomètres de manière un peu sportive, même si depuis une quinzaine d’années, le sport d’endurance qui me permet de me concentrer pour écrire, c’est le jogging.

Avez-vous eu le sentiment d’être un peu trahi quand vous avez découvert le dopage ?F.D. Le dopage, j’en entendais déjà parler, enfant. Le Tour a toujours été particulièrement surveillé et touché par le dopage. Trahison, certainement pas, le sport cycliste n’échappe à rien, et sa popularité contribue à faire des affaires des drames absolus, c’est tout. Remarquez, la trahison fait parfois partie du drame.

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Cet album parle du dopage dans le cyclisme sans aucune scène de course de vélos. Est-ce un choix délibéré ? F.D. Oui, parce qu’il ne s’agissait pas de faire une énième histoire policière se déroulant dans la caravane du Tour. D’une part parce que je n’ai pas d’expérience dans ce milieu des courses pros, et puis surtout, je voulais parler de ce qui peut conduire un jeune gars à se doper, sans jugement, sans a priori. Le dopage organisé n’est pas le propos des « Porteurs d’eau ». Le type qui vend aux deux jeunes au début de l’histoire n’est même pas certains qu’ils sont cyclistes. 

Quelle était votre idée de départ ?F.D. Je voulais parler du dopage en terme technique : ce que c’est, ce que ça apporte, et quelles sont les conséquences. J’ai choisi de ne pas rencontrer de coureurs pros parce que je n’avais pas envie d’entendre à nouveau ce que l’on a tous entendu lors des grands scandales et qui n’a aucun intérêt dans la dramaturgie. Mon histoire ne parle pas de tout ça, elle ne parle pas des premiers de cordée qui se font attraper, mais bien des seconds couteaux. Jérôme et Florian, on le comprend vite, ne sont pas des seconds couteaux dans le vélo, mais dans la vie en général. C’est cette métaphore-là qui m’intéressait à construire à partir du cyclisme. J’aurais pu travailler à partir de l’athlétisme, du foot, du rugby, du tennis, mais ces sports là ne me passionnent pas.



Vous remerciez les amis sportifs, enseignants, médecins et même ministre qui ont contribué à l’écriture de cette histoire. On a le sentiment que vous avez fourni un vrai travail d’enquête journalistique ? F.D. Je n’irai pas jusque-là. Depuis des années, j’échange avec des amis sur le dopage, sur la philosophie de la performance qui peut mener des gens à réduire leur espérance de vie de 30 ans pour moins de dix années de mise en lumière… Pour mes séries de SF, « Carmen McCallum » et « Travis », je me suis pas mal documenté sur l’homme augmenté, le dopage génétique (j’en ai parlé il y a 15 ans et là nous y sommes). Bref, il n’y a pas d’enquête, car je ne propose pas un point de vue journalistique, mais une solide documentation.

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C’est un sujet où la documentation doit également être pléthorique ? F.D. Bien entendu et comme pour toute histoire, il faut digérer la documentation puis la ranger pour construire un scénario qui tourne essentiellement autour des personnages.



Votre album ne dénonce pas les cyclistes qui se dopent mais plutôt un système qui oblige ces jeunes à se doper pour rejoindre le monde professionnel. C’est pour cela que vous rendez attachants ces deux jeunes paumés en cavale ? F.D. Je ne sais pas si l’album dénonce… J’essaye d’avoir un point de vue humaniste sur des pratiques qui, malheureusement, touchent aussi le sport amateur. C’est sans doute même quand le dopage se répand chez les coureurs du dimanche qu’il devient un problème de santé publique. L’album parle donc surtout de la société du médicament, celle où une pilule est souvent la solution pour éloigner ou se débarrasser d’un signal envoyé naturellement par le corps.



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Les seuls cyclistes que l’on croise sur des vélos sont des coureurs du dimanche. C’est cet amour du vélo que vous voulez aussi défendre avec cet album ? F.D. J’ai envie de défendre la pratique sportive sans compétition, juste pour le bien-être. Cela implique une certaine discipline qui va souvent à l’encontre de la réalité dans les clubs du dimanche et jusque dans les équipes d’enfants où l’esprit de compétition se transforme trop souvent en rivalité, tricherie, orgueil mal placé… 

A mon sens, la pire des choses que le sport encadré puisse enseigner, et en croyant bien faire, est la culture outrancière de la gagne. La société des premiers de cordées, où seule la victoire est belle, n’a rien à voir avec le beau geste sportif ou la camaraderie qu’on peut trouver dans la pratique d’un sport. A l’échelle professionnelle, la compétition et ses enjeux financiers, parfois même politiques et de soft power, n’est qu’un spectacle… que je vais d’ailleurs regarder, en compagnie de mes contradictions, durant les trois premières semaines de juillet (sourire).

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Les Porteurs d’eau » par Fred Duval. Delcourt. 17,95 euros.

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