Stéphane Piatzszek: « Les Corses n’ont pas balancé de juifs »

Petit-fils d’un déporté juif, Stéphane Piatzszek avait envie depuis longtemps d’écrire sur cette période trouble de l’Histoire. Un article sur le rôle de la résistance en Corse lui a donné l’idée de « L’île des justes », qui raconte l’histoire d’amour impossible entre un préfet et une juive cachée dans le maquis.

En préface, vous remerciez vos grands-parents Suzanne et Henri Cohen. Est-ce que vous aviez besoin à titre personnel de réaliser cet album afin d’honorer leur mémoire ?
Stéphane Piatzszek. Mon grand-père était un juif d’Algérie. Quand il a été démobilisé après la défaite de l’armée française, ce militaire de métier a voulu rentrer chez lui. Il est descendu jusqu’à Marseille mais s’est fait raflé par la police française avant de pouvoir prendre le bateau. Déporté dans un camp de concentration, il s’en est tiré grâce à sa force de caractère. Je voulais écrire un jour un album qui parle de cette période. « L’île des justes » ne raconte pas cette histoire mais me permet de faire un clin d’œil à mes grands-parents. J’ai d’ailleurs donné leurs noms à mes personnages. Au début de l’album, l’homme qui se fait rafler à Marseille, c’est aussi un peu mon grand-père.


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Dans l’histoire de votre grand-père, il n’est donc pas question de la Corse…
S.P. J’ai lu un article sur un professeur de collège Louis-Luciani qui a fait des recherches et découvert que beaucoup de juifs avaient été cachés en Corse pendant la guerre. Ce qui a été complètement oublié par les historiens. C’était un beau sujet. Ce professeur racontait que c’est le seul département français qui n’a pas déporté de juifs. Sauf un homme. J’en ai fait une femme et j’ai débuté mon histoire…

Avec le préfet, dont le professionnalisme se heurte à son humanisme, vous montrez parfaitement toutes les contradictions qui pouvaient survenir à l’époque. C’est un personnage très fort. Est-il inspiré d’un personnage réel ?
S.P. J’ai pris plusieurs personnages réels pour créer ce préfet. Si les Corses n’ont pas balancé de juifs, c’est parce que leur mentalité leur interdit de parler aux gens de l’État. C’est ainsi intéressant de voir que l’omerta peut devenir une force en temps de guerre. C’est aussi un peuple pour qui il est important de bien accueillir l’étranger. Mais en plus de cette attitude de la population, il y a eu un corps préfectoral incroyable et notamment le préfet Paul Ballay. Il n’a pas voulu déporter de juifs. C’était pourtant un ancien combattant qui croyait en Pétain. Il essayait de faire son travail et en même temps de rester humain en sauvant ceux qui pouvaient l’être.

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« L’île des justes » est aussi une histoire d’amour…
S.P. C’est une histoire d’amour platonique. Cet amour un peu impossible donne une dimension plus tragique. Ça renforce la dramaturgie.



Comment Espé est devenu le dessinateur de cet album ?
S.P. Cela fait longtemps que l’on devait bosser ensemble. Ce sujet l’intéressait. J’aime son trait réaliste et son sens du découpage. C’est un vrai dessinateur de BD. Il a vraiment une intelligence de la scène. Il sent bien les histoires et sait faire passer l’émotion.



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Maintenant que les lecteurs ont découvert vos personnages, n’avez-vous pas envie de prolonger la vie de certains ?
S.P. Je ne crois pas. C’est aussi le jeu du one-shot de créer un personnage puis de le perdre. Cela fait partie du charme de ce genre de livre. Savoir s’arrêter après ces 88 pages, c’est aussi ce qui rend précieux cet album.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« L’île des justes : Corse, été 42 » de Stéphane Piatzszek et Espé. Glénat. 18,50 euros.

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