Richard Marazano: « L’influence de H.G Wells »

Après avoir dévoré les romans de science-fiction de l’écrivain britannique durant son adolescence, Richard Marazano marche sur ses traces avec cette excitante nouvelle série rétro-futuriste. « Les trois fantômes de Tesla » plonge ainsi le savant Tesla, l’industriel Edison, le FBI et un gamin passionné de sciences dans une mystérieuse conspiration.

Dans « Les trois fantômes de Tesla », le héros est un jeune garçon. Est-ce une façon de rendre hommage aux grandes séries du Lombard et de vous inscrire dans cette tradition de la BD de 7 à 77 ans ?

Richard Marazano. Nous avions bien sûr déjà décidé quelle serait la nature et la structure de ce récit ainsi que ses personnages avant de savoir que nous serions invités à le publier chez les éditions du Lombard. Mais cette culture de la bande dessinée de 7 à 77 ans est aussi notre culture, et ce choix s’est donc présenté comme une évidence dès le début.

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Alors pourquoi un jeune garçon comme héros ?

R. M. Il nous fallait un personnage curieux et avide de découvertes et d’aventures qui ait un regard neuf sur le contexte du récit, à l’image de ces gamins des années 40 et 50 à qui on promettait un monde où la science étendrait partout son pourvoir de transformation, et qui pour beaucoup véhiculait l’espoir de réelles améliorations des conditions d’existence de l’humanité. Ce rêve prit fin de manière prévisible et dramatique avec les explosions de Little Boy et Fat man à Hiroshima et Nagasaki, mais au moment où débute notre récit ce rêve qui était aussi celui d’écrivains comme H.G. Wells était encore très prégnant.

Le scientifique Edison se trouve au cœur de votre série. Pourquoi avoir choisi de convier un personnage historique ?

R. M. Edison n’était pas un scientifique, c’était un homme d‘affaires sans scrupule et sans honnêteté intellectuelle qui faisait travailler des ingénieurs pour lui et s’appropriait leurs brevets. Edison n’a pas inventé le phonographe, on le doit à Charles Cros. Il n’a pas inventé l’ampoule électrique, qui est l‘œuvre de James Watts, ni le cinéma que les ingénieurs qui travaillaient pour lui ont tout au plus perfectionné. Edison n’était qu’un industriel malhonnête à succès. Le véritable savant héros de notre histoire est donc Nikola Tesla qu’Edison a poursuivi de sa vengeance parce qu’il s’était émancipé de sa tutelle commerciale et légale. Mais Edison et Tesla ne sont pas les seuls personnages historiques qui sont conviés dans cette histoire, on y trouve également un autre scientifique de génie, Jagadish Chandra Bose, ainsi que Yasutaro Mitsui, mais aussi l’écrivain et journaliste George Orwell, et d‘autres encore qui viendront étoffer cette galerie de figures grandioses.
Cet épisode caché de notre Histoire que nous avons choisi d’éclairer d’un jour nouveau, grâce à des documents extraordinaires entrés en notre possession par des voies tout aussi extraordinaires, nécessitait que nous ne trichions pas avec les non moins extraordinaires vérités qui nous furent révélées au cours de notre enquête à New York.

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Le livre de chevet de Travis est « La machine à explorer le temps » de H.G Wells. L’idée de départ était de retrouver l’ambiance de ces grands romans de science-fiction de l’après-guerre ?

R. M. Pas seulement l’ambiance des romans mais l’ambiance de la société dans laquelle ces romans ont été produits. « The time machine » ne date pas de l’après-guerre mais de la fin du XIXe siècle, mais il préfigure à la fois les sciences, la culture et la société du XXe siècle. Je suis un grand admirateur de toute l’œuvre de H.G. Wells que j’ai dévorée adolescent, ainsi que de sa pensée visionnaire qui de la fin du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle a inventé tous les grands thèmes classiques de la science-fiction, depuis le voyage dans le temps (« The time machine »), jusqu’aux invasions extraterrestres (« The war of the worlds ») en passant par la manipulation génétique (« The island of Doctor Moreau ») ou la destruction de l’humanité par la technologie. On ne mesure plus aujourd’hui l’influence qu’ont eu l’œuvre et la personne de Wells sur la pensée de toute la première partie du XXe siècle, et c’est à juste titre que George Orwell qui est pourtant très critique à son égard, affirmait qu’aucun écrivain anglo-américain des années 30 n’écrirait comme il écrit s’il n’y avait eu Wells, et qu’il avait contribué à populariser les sciences et leurs objets comme personne avant lui mais aussi, sans doute, comme personne après lui. Wells a durablement marqué notre inconscient collectif. Sans le savoir, nous pensons tous plus ou moins d’après H.G. Wells …

Qu’est-ce qui vous plait dans cet univers steampunk ?

R. M. Comme dans la plupart des récits de genre auxquels je me suis attelé à ce jour, mon but n’était pas de produire à tout prix un récit de genre dans son orthodoxie et ses codes, c’est le contexte de l’aventure qui a guidé ce choix. Tesla était un homme qui vivait entre deux époques et deux mondes, sa pensée mais aussi les formes qu’ont prises ses recherches ont été dictées par la fantastique émancipation de la science à la fin du XIXe siècle qui ouvrait tout un monde de perspective apparemment infinies, mais également par les limitations techniques de son époque. L’esthétique de ce genre porte en elle même la marque de ces deux abstractions contraires.

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Travis se passionne pour les scientifiques et s’intéresse à la physique. Est-ce un peu vous ?
R. M. J’ai commencé des études scientifiques en physique et en astrophysique que je n’ai malheureusement pas pu poursuivre, sans doute n’étais-je pas aussi assidu que Travis. Mais j’ai toujours été passionné par les sciences, l’épistémologie et leur histoire. Quand j’étudiais la physique à la faculté d’Orsay, Nikola Tesla, mais aussi et surtout Oppenheimer, me passionnaient, car ils incarnaient une question fondamentale de la science, celle de son application. Mon père était directeur de recherche en chimie organique au CNRS, ma mère plus littéraire, la rencontre de ces deux cultures m’a souvent porté à la spéculation intellectuelle et narrative qui se sont incarnées dans les quelques récits de science-fiction que j’ai pu réaliser.

Les extraits du journal communiste The Daily Worker critiquent le capitalisme et la collaboration d’entreprises comme Ford ou IBM avec le régime nazi. Est-ce un thème qui va prendre de l’importance dans les deux prochains tomes ?

R. M. Ces critiques que l’on trouve dans les articles du Daily Worker reproduits dans les pages de garde des « Trois fantômes de Tesla », nous permettent de mettre en lumière des éléments contextuels de notre Histoire qui sont généralement peu connus du grand public mais qui ont eu des conséquences réelles et dramatiques pour l’humanité tout au long du XXe siècle et dont notre récit se fait l’écho. La trilogie des « Trois fantômes de Tesla » a pour cadre ce contexte terrible et nous avons souhaité que tous les lecteurs puissent y accéder et pas seulement ceux qui savent un peu gratter le vernis des légendes vermoulues de l’Histoire. Plus qu’un thème ce sont donc des éléments de contexte essentiels à l’appréhension de cette aventure, et ce contexte sera omniprésent tout au long de la trilogie et même au-delà puisque Guilhem et moi avons des projets plus ambitieux pour faire suite au troisième épisode de cette aventure.

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Habitué à l’humour jeunesse, le dessinateur Guilhem Bec s’avère finalement un pari réussi…
R. M. Guilhem et moi sommes amis depuis plus de vingt ans. Nous avons travaillé ensemble à l’atelier Sanzot en compagnie de Christophe Bec, Mazan, Denis Bajram, Alain Ayrolles, Isabelle Dethan et Eric Derian. Je connaissais donc son professionnalisme depuis très longtemps mais aussi les envies de métier qu’il n’avait pas encore pu concrétiser. Nous avions déjà présenté ensemble des projets à des éditeurs mais l’occasion de collaborer à la création d’une série n’avait pas abouti. J’étais convaincu que Guilhem saurait, une fois de plus, renouveler son style, et qu’il pouvait pour cela s’appuyer sur des années de maitrise graphique et narrative. Ce n’était donc pas un pari, mais une sincère envie commune. On peut dire qu’avec « Les trois fantômes de Tesla », c’est un rêve et un projet d’anciens amis qui se concrétise enfin. Nous espérons juste que nos lecteurs auront autant de plaisir à s’immerger dans cet univers que nous en prenons à le créer…

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Les trois fantômes de Tesla, tome 1. Le mystère chtokavien » par Guilhem et Richard Marazano. Le Lombard. 13,99 euros.

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