Olivier Bocquet: « De l’aventure humoristique »


Le scénariste Olivier Bocquet voulait renouer avec l’esprit des grandes séries de la BD franco-belge. Le pari est réussi avec ce deuxième tome de « Frnck », qui mêle habilement aventure et humour en jouant sur le voyage dans le temps.

Comment avez-vous eu l’idée d’envoyer un adolescent chez des hommes préhistoriques ?
Olivier Bocquet. J’avais un manque en tant que lecteur de BD : il n’existait plus – en tout cas à ma connaissance – de BD franco-belge d’aventure humoristique comme j’ai pu en lire dans mon enfance et mon adolescence. Les « Astérix », « Tintin », « Lucky Luke »… Le dernier héritier marquant de cette lignée, c’est « Lanfeust de Troy », qui va bientôt fêter son vingt-cinquième anniversaire. Le lancement de « Lanfeust » coïncide avec un certain renouveau de la BD, porté par L’Association entre autres. Les styles et les genres se sont diversifiés, la BD est entrée dans le champ politique, biographique, narcissique, dans le reportage, la parodie, le minimalisme, l’abstraction…
Cette explosion de créativité a fragmenté les genres et les sous-genres jusqu’à séparer l’humour d’un côté et l’aventure de l’autre. La série des « Donjon » de Trondheim et Sfar tentait de réunir les deux, mais sur un ton très ironique et très autoréférentiel qui faisait qu’il y avait constamment une distance des auteurs et des lecteurs par rapport à l’histoire racontée. Moi ce que je préfère, c’est quand on est à fond dans l’histoire, mais qu’en même temps on se marre. « Retour vers le Futur » en est un exemple parfait. « Les Indiana Jones » aussi. En fait, la production Amblin des années 80 est une mine de ce genre aventure-action-humour-émotion. La plupart des films de Pixar aussi. On trouve évidemment beaucoup ce mélange des genres dans les mangas.

Bref, pour revenir à nos moutons : j’ai simplement cherché à créer un héros classique, mais inédit et c’est probablement ce qui a été le plus difficile. En fait, une fois que j’ai trouvé ma base (un ado téléporté dans la Préhistoire), ça m’a pris presque dix ans pour savoir quelle forme lui donner. Il y a eu énormément de versions différentes avant d’en arriver à celle que vous connaissez.

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Est-ce une façon de montrer à ses adolescents qu’ils ne sont pas si malheureux que cela ou plutôt de montrer que l’on peut finalement parfois se passer de choses qui nous paraissent indispensables ?
O.B.
Je sais que beaucoup de parents voient dans cette BD une façon fun de faire de la pédagogie : « Ah, tu vois ! La vie sans portable c’est possible ! » Ils sont pourtant eux-mêmes scotchés à leurs écrans et totalement dépendants de leurs voitures et de leurs lave-linges, ils se plaignent quand la clim est en panne, ils ont de l’eau chaude et de l’électricité à volonté, ils achètent leur nourriture en supermarché et pourtant… je ne sais pas. Ils craignent peut-être que leurs enfants soient « pires » qu’eux ? En tout cas ce que j’ai pu constater en festival, c’est que les lecteurs s’identifient à la situation de Frnck, quel que soit leur âge ou leur sexe. Ce n’est pas l’histoire d’un ado, c’est l’histoire d’une personne. Et dans une situation comme la sienne, on serait tous comme lui. Je défie quiconque d’aller en forêt de Fontainebleau et d’allumer un feu sans outil. Et je ne parle même pas d’attraper un animal ou de savoir quelle plante est comestible…

Le premier tome était axé sur le langage avec ces hommes préhistoriques qui s’exprimaient sans voyelles. Est-ce que « Frnck » est aussi une série sur la difficulté de communiquer ?
O.B.

Je ne pouvais pas faire comme si la barrière de la langue n’existait pas entre les préhistoriques et l’homme moderne. Mais il ne fallait pas que ça soit un handicap pour l’histoire. Si Franck avait dû apprendre le langage des primates, je crois qu’on aurait rapidement perdu des lecteurs ! L’absence de voyelles permettait de traiter la question, mais de la traiter comme un gag. Je pense que la dynamique entre les personnages de la série ne repose pas tant sur une difficulté à communiquer que sur une difficulté à se comprendre. En tant que représentant de l’homme occidental du début du XXIe siècle, Franck n’a ni les mêmes valeurs ni les mêmes priorités que les femmes et hommes préhistoriques. Il veut retrouver son confort, ils veulent juste ne pas mourir. Tout ce qui semble acquis pour Franck – par exemple que le feu est un bienfait pour la civilisation – reste à prouver pour les préhistoriques, pour qui le feu est avant tout un danger. Quand lui voit une fleur, ils voient une menace de mort. Il faut beaucoup de travail de part et d’autre pour arriver à se mettre d’accord… et ce n’est pas toujours Franck qui a raison !



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L’apprentissage du feu dans ce deuxième tome semble plus propice aux gags…
O.B.
L’invention du feu est propice aux gags, mais au même titre qu’un lapin mignon, que le fait de ne pas savoir nager, que la perte de ses orteils à cause du froid ou qu’une attaque d’abeilles tueuses, pour prendre d’autres exemples de ce tome. La même histoire avec les mêmes péripéties aurait pu être une tragédie. Confiez le scénario à Lars Von Trier, vous allez voir qu’on va beaucoup moins rigoler ! 

Pour moi il est important de mettre de l’humour dans cette histoire parce que… c’est important dans la vie ! J’ai même mis quelques gags dans mon album le plus noir (« Transperceneige Terminus » avec Jean-Marc Rochette). Mais surtout, on a tellement de raisons d’êtres tristes, révoltés ou en colère que je ne me voyais pas en mettre une couche de plus. Je veux que les lecteurs prennent du plaisir à lire nos albums. Ça passe par beaucoup de choses, et le rire en est un élément central. On a entièrement terminé les quatre tomes du premier cycle (scénario et dessin) et je peux quand même vous dire que le tome 2 est vraiment le plus poilant des quatre. Vous devriez vous marrer aussi dans la suite, mais on espère bien vous mettre aussi une petite boule dans la gorge à deux ou trois reprises.



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Le dessin de Cossu donne beaucoup de dynamisme à « Frnck ». C’est ce qui vous a plus dans son dessin ?
O.B. Le dessin de Brice est ce qui pouvait arriver de mieux à Frnck. Il apporte effectivement une énergie incroyable, son dessin tout en lignes de force possède une vibration assez unique. Quand on a vu ses planches d’essai (les pages 8 et 20 du tome 2), on a tout de suite su qu’il était le dessinateur de la situation. Il est aussi doué pour le cadrage et la composition que pour le mouvement, les détails de décor ou les expressions de visage. Il peut enchaîner des doubles pages d’action spectaculaires et une scène de dialogues en plan fixe avec la même efficacité. J’ai vraiment le sentiment d’être tombé sur l’oiseau rare !

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Est-ce que Frnck pourrait voyager dans d’autres époques ?
O.B. Il pourrait, mais ce n’est pas notre plan dans l’immédiat. On a beaucoup de choses à lui faire vivre avant de le faire remonter dans la machine temporelle. Ce que vous avez lu jusqu’à présent n’est que le petit tas de neige au sommet de la face émergée de l’iceberg. Ne vous laissez pas duper par nos gags à base de lapins : on est en train de vous raconter une histoire beaucoup plus vaste qu’elle n’en a l’air !

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Frnck, tome 2. Le baptême du feu » par Olivier Bocquet et Brice Cossu. Dupuis.

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