Aurélie Herrou: « Un voyage introspectif à travers l’art contemporain »

Le syndrome de Stendhal est une maladie psychosomatique qui provoque des vertiges, voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art. Un sujet original traité sur un ton très léger, voire parfois burlesque, par Aurélie Herrou et dessiné avec virtuosité par Sagar.

« Le syndrome de Stendhal » a été réalisé en partenariat avec le Centre Georges Pompidou. Est-ce un travail de commande ?
Aurélie Herrou. « Le syndrome de Stendhal » n’est pas une œuvre de commande du Centre Pompidou. Néanmoins, les Éditions du Centre ont été les premiers à s’être engagés dans ce projet. J’ai ensuite cherché un dessinateur et j’ai trouvé Sagar. J’ai enfin rencontré les Éditions Glénat et on s’est mis au travail en décembre 2016. Nicolas Roche et Claire de Cointet, de la direction des Éditions du Centre Pompidou, m’ont laissé entière liberté dans le choix des œuvres et des artistes. Certaines œuvres font partie du fond du Centre, d’autres non. J’ai choisi les œuvres par goût ou par nécessité narrative. Mais aussi pour faire un tour d’horizon (loin d’être exhaustif), de l’univers sans fin de l’art moderne et contemporain.

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Vous abordez l’art contemporain à travers les yeux d’un gardien de musée…
A.H. « Le syndrome de Stendhal » a pour toile de fond le Centre Pompidou. Fred, notre protagoniste, est un peu Monsieur Tout-le-Monde (en apparence) et absolument profane en matière d’art. Il fallait donc le faire pénétrer au musée, davantage contraint que de sa propre initiative. J’ai donc choisi pour « guide » au cours de cette « visite », un gardien. Mais « Le syndrome de Stendhal » est une comédie de mœurs, dans un registre burlesque revisité. Les personnages sont fictifs et les traits forcés, ceux des gardiens, notamment. Dans le cadre de mes recherches, j’ai été amené à parler à de nombreux gardiens, ces témoins discrets détendeurs de plus d’un secret. Et je vous invite à en faire de même !



Ce n’était pas trop intimidant d’essayer de répondre à cette grande question: «Qu’est-ce que l’art?»
A.H. C’est pour ça que je ne l’ai pas fait ! J’ai posé des hypothèses, ou, en tout cas, des questions.

Cet album s’appuie sur un syndrome de Stendhal, qui existe vraiment…
A.H. Le syndrome de Stendhal est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art. Toute la problématique de cet étrange syndrome est donc que si le contact avec l’art peut s’avérer épanouissant dans l’absolu, il n’en va pas de même pour qui succombe à l’overdose… Insaisissable par nature, l’objet esthétique va projeter Fred dans les tréfonds de son inconscient et servir de révélateur à ses angoisses, à ses frustrations et à ses fantasmes dans une période où il est particulièrement vulnérable. Tout ressurgit avec un effet démultiplié sous le choc de l’art. 


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Comment avez-vous découvert ce syndrome de Stendhal ?
A.H. Quand j’ai entendu parler de ce syndrome pour la première fois, je me suis procuré « Rome, Naples, Florence » le récit de voyages de 1826 de Stendhal et aussi « Le syndrome de Stendhal, du voyage dans les villes d’art » de la psychiatre italienne Graziella Magherini, qui a nommé ce syndrome. D’après elle: «Nous sommes tous porteurs du syndrome de Stendhal. Ce phénomène reste pour la plupart d’entre nous diffus. Dans certaines conditions d’intimité, une œuvre d’art fonctionne pour celui qui la regarde comme le symbole d’un drame intérieur.» Mais ça m’intéressait de placer mon récit dans le monde d’aujourd’hui et de confronter mon protagoniste à l’art contemporain et non à celui de la Renaissance.



On peut en déduire qu’à partir du moment où une œuvre nous parle, c’est de l’art ?
A.H. Certaines œuvres parlent effectivement à Fred. L’idée est d’aborder l’art en faisant table rase des a priori et préjugés sceptiques et en se laissant guider par les émotions qu’il suscite, à la manière de Daniel Arasse dans son livre « On n’y voit rien ». L’art contemporain est un reflet stylisé de notre époque. On peut tous se mettre devant une œuvre. Regarder, voir, ressentir quelque chose. Ou non.

Au contact de toutes ses œuvres, le personnage principal va retrouver goût à la vie. C’est une belle promotion pour l’art contemporain ?
A.H. Fred, notre héros, nous emmène dans un voyage introspectif à travers l’art contemporain. Un cheminement en crescendo où la confrontation aux œuvres d’art débutera dans l’indifférence, voire la critique perplexe, avant d’éveiller un intérêt aussi étrange qu’inattendu, pour finir par basculer dans le chaos sans retour d’une passion dévorante… En contrepartie, ce mystérieux syndrome va l’affranchir de ses contraintes sociales et de ses préjugés. Ne sous-estimez pas le pouvoir de l’art !

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Sagar représente le mouvement en multipliant le même corps dans une case. Cela donne une dynamique très particulière, très légère à l’album. C’était votre souhait?
A.H. Je suis tombée sur le dernier album de Sagar, « Los Vagabundos de la Chatarra », aux Éditions Norma. J’ai adoré. J’ai été particulièrement frappée par sa manière de dessiner le mouvement. C’est quelque chose qui m’intéressait, cette notion de mise en mouvements, pour ce livre. Notamment pour représenter la danse, car notre héros danse. En dépit de son aspect lisse et banal, la vie de Fred est habitée d’un rêve. Mieux, d’une passion! Il porte une adoration sans borne à Fred Astaire, à ses subtils entrechats et à ses envolées statiques. Grâce au talent de Sagar, ce livre est une œuvre d’art!

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Le Syndrome de Stendhal » par Aurélie Herrou et Sagar. Glénat. 22 euros.

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