Alexandre Clérisse : « Des histoires sur l’engouement pour le dessin »

« Feuilles volantes » est un roman graphique surprenant. Alexandre Clérisse parvient à imbriquer trois histoires aux temporalités différentes tout en essayant de percer le mystère de la création. Un album malin sublimé par des planches magnifiques, qui donnent envie de se perdre dans les décors.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur des auteurs de BD, et de revenir sur les différentes étapes de l’histoire de la création graphique?
Alexandre Clérisse.
Il y a déjà plus de 10 ans, je souhaitais me lancer dans l’histoire du moine copiste, que j’ai écrite et réécrite plusieurs fois avant de la mettre de côté. J’ai ensuite cherché à écrire plusieurs histoires différentes pour m’apercevoir de leur dénominateur commun : l’engouement pour le dessin. Je voulais témoigner des étapes de la vie d’une passion à différents âges, mais sans faire un biopic ou une autobiographie. Par ce biais, j’englobe plusieurs périodes et situations qui donne un éclairage d’ensemble.


« Feuilles volantes » débute par l’histoire de Max, un gamin qui rêve de devenir dessinateur. Est-ce un peu votre histoire?
A.C.
J’ai naturellement inscrit ce jeune personnage dans un décor que je connaissais : la forêt, ma maison d’enfance, mes parents, les rencontres que j’ai faites durant ce parcours,… Afin que le lecteur se retrouve dans le personnage, j’ai volontairement brouillé certaines pistes car c’est délicat de ne pas tomber dans l’intimisme. Je voulais que ça donne une impression de réel tout en étant universel.


Comme votre personnage, avez-vous eu un mentor dans la bande dessinée?
A.C.
Oui, j’en ai eu plusieurs même ! Dans les remerciements, je dédie ce livre à toutes ces personnes, que ce soit des professeurs, des amis ou d’autres auteurs. Un parcours est jalonné de rencontres qui permettent d’apprendre par la critique et la remise en question. Ces personnes permettent de franchir les étapes nécessaires à l’évolution, la principale étant de savoir sacrifier des choses auxquelles on tient et qui viennent souvent de l’enfance. Dans le monde professionnel, il faut savoir prendre de la distance sur son propre travail.


L’un de vos personnages explique avoir envie de retrouver le plaisir de dessiner. Est-ce qu’il vous est arrivé de perdre ce plaisir?
A.C.
Effectivement, comme je le dis plus haut, pour pouvoir espérer vivre de sa passion, il faut savoir mettre de la distance avec ses rêves, faire certaines concessions pour être efficace,… Du coup lorsque on est trop dans ce modèle, le dessin devient purement artisanal et on en oublie ses premiers émois. Ce projet était donc essentiel pour moi. Il m’a permis de retourner un peu à la source.


L’histoire se déroule sur trois temporalités et devient de plus en plus complexe en fin d’album. Comment avez-vous fait pour donner le vertige à votre lecteur sans le perdre en route?
A.C.
J’ai beaucoup appris du travail avec Smolderen. Il m’a donné de bons tuyaux sur la construction de scénario ! J’ai d’abord écrit les trames des trois histoires puis j’ai tout repris depuis le début en réalisant le story-board. J’ai essayé de me mettre à la place du lecteur. J’ai ensuite travaillé une gamme de couleurs restreintes en donnant une teinte spécifique à chaque histoire. Dans la narration, j’ai essayé de prendre le lecteur par la main et à chaque fois que je mettais des éléments déstabilisants, je donnais des clés pour rassurer le public.


C’est toujours un grand plaisir de découvrir vos décors. L’architecture et l’urbanisme sont des domaines qui vous attirent?
A.C.
Enormément. Dans cette histoire, je pouvais mettre en parallèle les bâtisses médiévales et l’architecture moderne autant que les techniques de dessin. Dans le monde futuriste, j’aurais aimé développer davantage la ville utopique mais je serai alors sorti du propos principal. Je me suis inspiré des architectes utopistes actuels comme Luc Schuiten (le frère du bédéaste) ou Vincent Caillebaut entre autres. Pour le monde médiéval, vivant dans le Lot, j’ai baigné depuis toujours dans ces villages magnifiques, comme Collonges-la-Rouge, Rocamadour, Autoire…


Certaines cases, dessinées en 3D isométrique, me font penser à certains jeux vidéo des années 80…
A.C.
Le côté jeu vidéo, c’était plutôt le sujet de notre livre précédent avec Smolderen, « Une année sans Cthulhu ». Ici, ce serait plutôt les jeux de constructions ou les maquettes. Lorsqu’on dessine une histoire, c’est comme si l’on avait un petit théâtre miniature avec des marionnettes qu’on manipule d’en haut. Enfant, j’étais friand de ces jeux où je m’inventais des tas d’univers. J’ai mis ça de côté lorsque j’ai compris que je pouvais développer ça en bande dessinée sans limite.

Pensez-vous, comme dans votre livre, que la création graphique vivra encore une grande révolution comme l’a été l’invention de l’imprimerie?
A.C.
Il y a déjà des travaux pour tenter de traduire la pensée par ordinateur et depuis quelques années, on peut dessiner dans l’espace avec des lunettes de réalité virtuelles. On pourra toujours trouver des outils nouveaux, cela dépend de qui s’en empare et de ce que l’on veut transmettre avec. Le morceau de charbon des premiers Sapiens est resté des dizaines de milliers d’années mais il reste un moyen de communiquer ses pensées et ses émotions.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne
(sur Twitter)

« Feuilles volantes » par Alexandre Clérisse. Dargaud. 23 euros.

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