Philippe Riche: « Des Pieds nickelés contemporains »

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Avec un dessin dynamique et une intrigue très actuelle sur l’évasion fiscale, Philippe Riche propose une version moderne et particulièrement jouissive des « Pieds Nickelés ». Bourré de références et de dialogues savoureux, cette nouvelle version des aventures de Croquignol, Filochard et Ribouldingue est une excellente surprise.



Pourquoi avoir choisi de reprendre cette série ?
Philippe Riche. Quand j’étais gamin, je lisais « Les Pieds nickelés » de Pellos. C’était des albums souples parus aux éditions Jeunesse joyeuse. Avec « Tintin », c’est l’une des premières bandes dessinées que j’ai commencé à lire. Je m’amusais alors déjà à dessiner des personnages qui leur ressemblaient. Il y a quelques années, j’avais émis le souhait de les reprendre, mais c’était un peu compliqué au niveau des droits. Vents d’Ouest, qui avait envie de relancer la série, me l’a ensuite proposé.



Quel est le cahier des charges quand on démarre une aventure des « Pieds nickelés »?

Ph.R. J’avais une vraie envie de reprendre cette série, mais avec une idée précise de ce que je voulais faire, sans trop de contraintes et sans se laisser écraser par le poids de ce qui a déjà été fait. J’ai donc repris les personnages, leur dynamique et n’ai pas trop cherché à marcher dans les pas de Pellos ou de Forton. Pour cela, j’ai écrit une sorte de note d’attention à l’éditeur afin d’éviter toute ambigüité, car je craignais que l’on me mette beaucoup de freins. Cela n’a pas été le cas et il n’y a au final aucun gardien du temple. J’avais envie de me sentir libre. C’est d’ailleurs l’esprit des « Pieds nickelés ».

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Je n’avais jamais lu d’albums des « Pieds nickelés » et m’attendais à une aventure destinée d’abord aux jeunes filous. Or, cette arnaque financière et ses multiples clins d’œil visent plutôt un public adulte. Est-ce que cela a toujours été le cas pour cette série ou l’avez-vous faite évoluée ?

Ph.R. Par rapport à Pellos, je l’ai en effet amené sur quelque chose de plus adulte. Cela peut être lu par des ados mais il est certain que ce n’est pas un album jeunesse. Quant aux premiers « Pieds nickelés » de Forton, ils étaient destinés aux enfants, mais avaient une très mauvaise presse, car on ne trouvait pas cette BD assez convenable.

Ce changement de cap peut poser un problème au niveau commercial ?

Ph.R. 
C’est un titre et des personnages très connus, mais, mis à part quelques passionnés, peu de personnes connaissent vraiment leurs histoires. En reprenant « Les Pieds nickelés », mon objectif est donc de relancer une vraie série et surtout pas de faire un coup marketing.


Avec ce premier tome « Promoteurs du paradis », « Les Pieds nickelés » se montrent particulièrement inventifs dans l’arnaque et cachent leur jeu au lecteur jusque dans les dernières pages…

Ph.R. 
C’est aussi un peu une nouveauté de cette reprise. Dans les albums historiques des « Pieds nickelés », il y avait une succession de petites arnaques sur un thème général. J’ai essayé d’avoir une série de petites arnaques, qui marchent ou pas, mais qui sont cette fois liées par une grande histoire avec un début et une fin. J’avais la volonté de ne pas rester dans la succession de péripéties. Et comme le principe des « Pieds nickelés » est de monter des arnaques, il fallait écrire quelque chose de bien structuré pour ménager le suspens. Pour que cela fonctionne, il était aussi important d’inventer une mécanique crédible même si cela passe ensuite des étapes plus rocambolesques.



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Certains personnages semblent inspirés par des personnalités, mais cela reste très léger. Vous ne vouliez pas tomber dans la caricature ?

Ph.R.
C’est un autre objectif que je me suis fixé : faire des « Pieds nickelés » une série contemporaine en reprenant des éléments de l’actualité que tout le monde peut reconnaitre. Je ne suis pas journaliste et ne veux pas non plus être trop précis pour ne pas apparaitre comme un donneur de leçons. Ce n’est pas le but.

Le gardien de l’île Seguin rappelle en tout le cas de François Pignon du diner de cons et provoque les mêmes rires. C’est un clin d’œil ?

Ph.R. 
Non, je n’avais pas fait le rapprochement (rires). Mais, effectivement, il peut y faire penser…



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Cet album dénonce l’évasion fiscale de certains riches et certaines répliques (« Les Mercedes, ça fait gitan ») se moquent du côté bling-bling. C’est donc une BD un peu engagée ?

Ph.R. 
Cela rejoint un peu ce que je disais sur les personnalités. Je n’ai pas envie de faire une BD militante qui dise aux gens ce qu’il faut penser. Néanmoins, je m’amuse de certains excès ou absurdités. Et comme j’ai envie de faire quelque chose qui s’inscrit dans notre époque, on peut y voir un côté engagé, mais ce n’est pas un manifeste. D’autant que « Les Pieds nickelés » sont d’un seul côté, c’est du leur. Ils arnaquent les riches, mais aussi les pauvres. Ce n’est pas des Robin des bois et je ne veux pas en faire des redresseurs de torts qui seraient instrumentalisés pour tenir un discours. Même si sur l’ensemble de l’album, on peut sentir certains agacements, j’essaye de faire en sorte que cela ne soit pas sur une ligne trop identifiable.



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C’est aussi le cas dans les premières pages de l’album où vous montrez que même avec beaucoup de volonté, le marché du travail est très difficile quand on commence au bas de l’échelle…

Ph.R. 
Au moment de démarrer l’album, je suis parti du constat que les gens ne savaient pas forcément qui étaient « Les Pieds nickelés ». Mon objectif était alors de présenter les personnages et le cadre général dans lequel je vais les faire exister. Ces premières planches où ils essayent d’être pour une fois honnêtes permettent de les confronter au monde. On peut y voir une critique du monde du travail, mais aussi le constat d’une réalité. Et pour Croquignol, Filochard et Ribouldingue, il est plus facile d’escroquer les gens que de gagner leur vie avec un travail honnête, qui en plus n’est pas tellement funky.



Propos recueillis par Emmanuel LAFROGNE.

« Les Pieds Nickelés  » (T1. Promoteurs du paradis) par Philippe Riche. Vents d’Ouest. 9,95 euros.

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