Fred Bernard: « Je suis tombé sous le charme »

Invité à suivre les coulisses de la création du premier album de Lady Sir, un groupe créé autour de Rachida Brakni et Gaëtan Roussel, Fred Bernard raconte la naissance de cette dizaine de chansons. Ça parle évidemment de musique, mais aussi de belles rencontres humaines. Un complément indispensable à l’excellent « Accidentaly yours » (Barclay).


ladysir.jpgCet album rappelle « L’homme qui chante » d’Alfred et David Chauvel, qui suivait la création du dernier album de Daho…
Fred Bernard.
C’est en effet exactement la même idée de départ ! Je ne sais pas comment s’est engagée leur affaire, mais pour ma part, c’est Barclay Universal qui m’a demandé si je voulais me lancer dans cette aventure musicale. C’était alors à moi de trouver un éditeur papier. C’était il y a un an… Le livre d’Alfred et David est magnifique, mais j’ai le sentiment d’avoir peut-être eu plus de liberté qu’eux au final.



Le courant est immédiatement passé avec les artistes ?
F. B.
Avant d’accepter, j’ai bien sûr rencontré Rachida Brakni, Gaëtan Roussel et Clarisse Fieurgant (leur manageuse). On a bu un café et un jus d’orange en grignotant dans un bar. Le courant est tout de suite passé. Ils avaient lu certains de mes livres et je leur en avais apporté d’autres. En quelques mots, j’ai senti qu’on était culturellement raccords. J’étais rassuré et eux aussi, je pense. Une demi-heure après, j’étais en studio avec eux.



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Qu’est-ce qui vous intéressait de capter dans cette aventure ?
F. B.
Je n’avais aucune idée préconçue avant de me lancer dans le bain puisque je ne connaissais pas personnellement ces deux artistes (juste une partie de leur énorme travail), ni même ce qu’ils étaient en train de mettre un point. Je ne voulais d’ailleurs pas savoir ce que j’allais faire avec eux, et là-dessus mon éditeur chez Glénat, Benoît Cousin, a été très cool et compréhensif. Ce n’était pas un disque de plus pour eux non plus, mais un premier album d’un nouveau groupe, Lady Sir! C’était nouveau et très important pour eux. J’étais donc aussi excité qu’anxieux de bien faire…

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Comment avez-vous travaillé ?
F. B.
Au départ, j’ai surtout espéré ne pas les déranger, et je me suis mis dans un coin. Par définition, un studio n’est pas vaste, et ils étaient en train de bosser dur. Hyper concentrés, ils faisaient plein d’essais avec différents musiciens et Antoine Gaillet (le boss-technicien du studio Soyuz). Ils cherchaient des lignes mélodiques, faisaient des essais et encore des essais, puis des prises de voix, faisaient deux pas en avant, un pas en arrière. C’était très technique, obscur parfois pour moi, mais aussi très vivant. À chaque pause, tout le monde se détendait aussitôt, et je n’ai assisté à aucune engueulade ni prise de tête égotique. C’est ce que j’appréhendais un peu pour avoir passé un peu de temps en studio avec d’autres artistes jadis. Les recherches se faisaient de façon très collégiale, et chacun écoutait l’autre attentivement. C’était du pain béni pour un observateur. En fait, je suis tombé sur une bande d’amis tous heureux d’être ensemble, et ce bonheur me retombait dessus. Ils m’ont accueilli à bras ouverts, et j’ai pu retranscrire à ma manière leur façon de créer, puisque c’est de cela qu’il s’agit !



Vous n’êtes pas uniquement un témoin, mais intervenez également en posant des questions ou en retraçant les parcours des principaux protagonistes. C’est pour éviter de tomber dans le documentaire un peu froid ?
F. B.
Honnêtement, il aurait été difficile de concocter un plat froid, ou même réchauffé avec eux ! Je suis tout de suite tombé sous le charme de Rachida et Gaëtan. L’ambiance était studieuse, inspirée, solaire, tout à fait à mon goût. Philippe Almosnino (le fameux guitariste) imitait Johnny à la perfection, faisait des blagues avec Antoine et Jérôme Musset (le batteur). Je leur posais des questions dès que je sentais que quelque chose d’important se tramait, et que je ne comprenais pas bien, un peu comme on lève le doigt à l’école. Et comme à l’école, à un moment donné, j’ai eu l’idée de leur demander un petit CV de début d’année : « profession des parents, passions, rencontres déterminantes, qu’avaient-ils donc envie de faire quand ils étaient petits ?, etc… » Ils ont joué le jeu à la perfection, je leur ai mis 10/10 car je me suis délecté de toutes ces infos qui éclairaient leur personnalité et leurs choix de vie.



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Votre album permet de découvrir le rôle de la manageuse Clarisse, qui apparait ici comme un membre à part entière du groupe. C’est aussi ce que vous avez ressenti ?
F. B.
D’entrée de jeu, oui. Clarisse est rassembleuse et protectrice, c’est d’ailleurs elle qui a eu idée d’une BD accompagnant la création de l’album. En plaisantant, Rachida l’appelle le juke-box vivant, à cause de sa grande culture musicale. Elle était à la fois toujours présente et affairée ailleurs sur son ordi ou son portable. Mais régulièrement, elle relevait la tête pour intervenir sur ce qui se jouait, et donner son sentiment. Un matin, elle est arrivée avec un texte très personnel sur sa maman (« Je ne me souviens pas »). Illico presto, Gaëtan et Rachida se sont attablés dans la cour du studio afin de trouver la mélodie et le ton idoines pour ses mots. Quelques heures après c’était pour ainsi dire dans la boîte. Ça a été un de mes moments préférés, et une belle leçon d’association de talents. J’envie un peu cette façon de bosser en équipe. 



Votre livre montre très bien le perfectionnisme de Gaëtan Roussel, qui parle de régler quelques « bricoles d’importance ». Est-ce que vous abordez le dessin avec cette même idée de perfection ou est-ce que vous préférez miser sur la spontanéité ?
F. B.
J’ai aimé quand Gaëtan a dit qu’une chanson avait encore besoin d’amour parce qu’elle n’était pas encore aboutie à son goût… Je comprenais ce qu’il voulait dire : on ne peut pas lâcher une chanson dans la nature si on ne la sent pas prête, qu’elle semble encore trop fragile. En dessin comme en musique, perfection et spontanéité ne sont pas du tout antinomiques. J’ai mis longtemps à accepter cela. Après mes cinq années d’études de dessins, avoir réalisé beaucoup de croquis de voyages m’y a aidé. Je n’apprécie guère la création qui fleure la transpiration. Je n’aime pas sentir le labeur ni les efforts. J’envisage le dessin comme une écriture au service du récit. Il peut être tantôt lâché quand je dessinais au studio (comme un « boeuf » en musique…), tantôt plus précis en fonction de ce que j’essaie de traduire. J’aime la précision évasive, suggérer plutôt que décrire. L’équilibre entre les mots et le dessin doit sembler être le plus naturel possible à la lecture, même si cela demande un gros travail derrière. Cet équilibre est en vérité difficile à trouver et à maintenir, il faut être passionné par son sujet.

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Cet album « Accidentaly yours » de Lady Sir doit désormais avoir une résonance particulière pour vous ? Comment le trouvez-vous ?
F. B.
C’est le moins qu’on puisse dire. Je l’adore bien sûr ! Je ne le connais pas par cœur, mais presque, pour l’avoir en partie vu naître et beaucoup écouté au stade de maquettes en travaillant chez moi. J’adore sa teinte très « road-movie ». En roulant, en voiture ou en train, c’est une tuerie ! J’aime la musique qui me fait voyager et qui m’émeut. Quand j’ai découvert le clip de Jean Gabriel Périot pour la chanson « Le temps passe », j’ai eu les larmes aux yeux, sans doute parce que cela fait écho à ce qui se passe en ce moment…

« Lady Sir. Journal d’une aventure musicale » par Fred Bernard. Glénat. 17,50 euros.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

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