Denis Robert: « Le monde va devenir plus sauvage »

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« Dunk » nous projette quinze ans en avant et nous montre une société totalement gangrénée par l’argent. Le sport est définitivement tombé dans les mains des mafias et les milliardaires rêvent d’immortalité. Ce qui offre un terrain de jeu idéal à Denis Robert pour nouer les fils d’un thriller d’anticipation aux ramifications multiples.

Denis Robert. « Dunk » est à l’origine un roman (Julliard, janvier 2009)… J’avais beaucoup travaillé avec des chercheurs en neurosciences, mais il est malheureusement paru au moment de ma mise en examen dans l’affaire des listings truqués de Clearstream. dunk1.jpgJ’étais invité partout, mais le livre était souvent éclipsé par mon actualité judiciaire. Dans ce roman, je réfléchis au devenir de l’humanité, au problème de l’immortalité grâce à la science.

Comment ce roman est-il devenu une BD ?

D.R. J’ai eu des envies d’adaptation pour le cinéma et j’étais parti pour en faire un scénario de blockbuster. Comme je sortais de l’expérience de « L’affaire des affaires », assez naturellement je suis arrivé à la bande dessinée. « Dunk » est un roman complexe, avec des allers-retours permanents entre passé, présent et futur. Cette temporalité n’était pas évidente à adapter en BD. J’ai donc déconstruit le récit pour en faire quelque chose de plus linéaire. Rapidement, je me suis rendu compte qu’il fallait plus de scènes d’action en rapport avec la menace mafieuse et la vraie nature de mon héros, Moreira.

Quelle a été votre principale influence pour « Dunk » ?

D.R. Marvel et les super héros. Mon basketteur Moreira a le potentiel pour devenir un super héros. D’ailleurs le titre original de « Dunk » était « Naissance d’un héros ».

« Dunk » mêle une intrigue sur la corruption dans le sport et les sociétés de paris sportifs avec la montée des sociétés criminelles. Et une autre sur les dérives possibles des neurosciences.

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A-t-il été compliqué de les faire cohabiter tout en restant suffisamment clair et précis ?

D.R. Tout l’intérêt du scénario et la difficulté de l’entreprise, c’est de faire tenir une intrigue qui se tienne tout en racontant une partie de l’histoire de la neurologie. Il fallait en plus rester crédible dans les deux cas et faire vivre de beaux personnages, psychologiquement complexes. Toutes les études sur lesquelles est fondé ce travail existent réellement. J’ai inventé deux ou trois bricoles, mais cela repose sur des faits scientifiques.

Conflits de plus en plus meurtriers, disparition des énergies fossiles, prédominance de l’individualisme,… Votre futur situé en 2029 est très sombre. Est-ce une projection crédible ou un peu exagérée afin de servir votre récit ?

D.R. Tout ce que je pressens et que je vois par mes enquêtes journalistiques, par mon travail de documentariste, par mes rencontres, par mes conversations avec des magistrats ou d’autres journalistes me permet d’imaginer ce que sera le monde dans une vingtaine d’années. Ce que j’ai mis dans « Dunk », je pense, arrivera ou est déjà arrivé. Le crime organisé va prendre encore plus de place et le monde va devenir plus sauvage. Il y aura une classe de très riches qui aura les moyens d’accéder à la santé, à l’éducation, à l’information, une infime minorité… Et une autre très pauvre dont la croissance est exponentielle. Au milieu, on aura une classe un peu molle avec au départ les neuf dixièmes de l’humanité. C’est elle qui va peu à peu disparaître.

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Vos projections sur l’avenir du sport sont également très pessimistes…

D.R. Le sport est déjà vérolé par les mafias. Pour l’instant, les scandales sont larvés avec des petits papiers qui sortent parfois pour expliquer que la mafia chinoise a spéculé sur des matchs de foot en Belgique ou en Finlande. Des scandales de dopage qui après le cyclisme et l’athlétisme commencent à toucher le rugby. Mais, il y a déjà une vraie folie financière autour du sport. Je rentre des États-Unis où je suis allé voir un match de play-off entre les Brooklyn Nets et les Chicago Bulls. C’est la première fois que j’assistais à cela et j’étais complètement hypnotisé par ces écrans omniprésents. Les matchs durent 3 ou 4 heures avec de grands espaces publicitaires. Ça bombarde de partout. Le basket est entré dans une autre dimension avec des joueurs qui sont devenus de vrais gladiateurs.



Pourquoi le basket, sachant que vous avez écrit Le milieu du terrain, un livre sur les coulisses du football ?

D.R. J’y ai pensé, mais je voulais un sportif qui pouvait physiquement s’approcher du super héros. Moreira fait 1m99 et pèse 99 kg. C’est un monstre d’acier avec des abdominaux incroyables. C’est une force de la nature qui court le marathon en 2h20. « Dunk » n’est pas pour autant une BD sur le basket. C’est juste un prétexte.

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« Dunk » est très riche avec une multitude de personnages secondaires…?

D.R. J’essaie de nouer des fils en parallèle. Avec la BD, j’ai introduit de nouveaux personnages comme les jumelles nées en fécondation in vitro. C’est un énorme travail et beaucoup de gamberge, car je sème des choses en prévision d’une éventuelle prolongation au-delà des trois tomes déjà écrits. Potentiellement, je peux en faire douze. Après en avoir fini avec la mafia géorgienne, Moreira pourrait très bien s’attaquer à autre chose.

Le milliardaire Paul Netter est un personnage très mystérieux…?

D.R. Dans le roman, je suis resté assez évasif sur son rôle. Est-ce lui qui manipule tout pour faire de Moreira son super cobaye ou est-ce qu’il est lui-même pris dans une lutte avec la mafia. J’ai ma petite idée là-dessus. Netter est un personnage très intéressant à imaginer. Je me suis inspiré d’Howard Hugues et d’un livre de Mario Puzzo où un oracle recevait dans son bureau tous les présidents des États-Unis. Netter, c’est un peu cela. Il existait en jeune homme dans mon roman « Une ville ». Là il a 96 ans. Je peux vous parler de son père, de son grand-père, d’où il vient et comment il en est arrivé là. Idem pour n’importe lequel de mes personnages. Chacun d’entre eux en a beaucoup sous les semelles. Le professeur Mandelberg cultive par exemple un coté Mengele (médecin nazi qui s’est livré à des expériences pseudo-scientifiques dans les camps de concentration). Il se moque de l’éthique, mais veut entrer dans l’histoire en résolvant la question de l’immortalité et du transfert de mémoire. Son adjoint est aussi un personnage assez trouble, mais davantage dans la rédemption. Ma frustration sur ce premier tome de 48 pages, c’est que le lecteur peut croire à quelque chose d’insensé ou de gratuit alors qu’au contraire tout est calculé et réfléchi.


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Pourquoi avoir alors choisi de découper votre histoire en trois tomes ?


D.R. C’est un choix de l’éditeur. Ma tendance naturelle eu été de faire un bouquin de 200 pages avec un début et une fin. Il semble que le format franco-belge se vende mieux. Mais je sais aussi que « Dunk » est le genre de série qui va mettre du temps à s’installer. On est sur une série à long terme. 



Au cours de ce premier tome, Steve Moreira croise un journaliste qui enquête sur l’économie parallèle du sport. Est-ce vous en quelque sorte ?

D.R.
Ça aurait pu être moi. J’ai introduit ce personnage car je voulais une histoire crédible. Le type enquête sur les cousins mafieux, comprend que le match est truqué et en parle avec Moreira pour écrire son papier. Les mafieux l’apprennent et le butent pour récupérer la bande de l’interview. Moreira devient alors un homme dangereux pour eux car ils ont peur qu’il continue à parler. Les mafieux n’ont peur que d’une seule chose, c’est que l’on braque un projecteur sur eux. Quand ils sentent ce danger, ils ne s’embarrassent pas. C’est pour cela que le métier de journaliste peut être dangereux.



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Il est donc plus facile d’en parler à travers la fiction ?

D.R.
Si j’apprends que des Géorgiens truquent des matchs et que je connais leurs noms, cela serait suicidaire de les sortir. Je ne crois pas à la justice de ces pays-là. J’ai déjà du mal à croire en la mienne ! Déjà, avec Clearstream, on a été très loin dans l’offense et la confrontation au réel. C’est difficile d’aller plus loin vu la somme d’emmerdes que cela a induit.

Vous avez lâché le journalisme ?

D.R.
Non, je prépare un site internet d’informations Infodujour, mais je me tourne davantage vers des récits plus littéraires. On peut faire les deux.

Propos recueillis par Emmanuel Lafrogne

(sur Twitter)

« Dunk », tome 1. « Naissance d’un héros » par Denis Robert et Franck Biancarelli. Dargaud. 13,99 euros.

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