GEORGES & TCHANG, Une histoire d’amour au vingtième siècle

Bruxelles, 1934. De la rencontre entre Georges Rémi, alias Hergé, et l’étudiant chinois Tchang va naître une relation très particulière sur laquelle se penche Laurent Colonnier… Un sujet risqué qui convainc.

On a dit déjà qu’Hergé était raciste, antisémite et misogyne, le voilà maintenant peut être homosexuel! L’histoire entre Georges Remi, alias Hergé, et Tchang était-elle plus que de l’amitié? C’est en tout cas le parti pris de Laurent Colonnier avec cette biographie en bande dessinée centrée sur la relation profonde qui lia l’étudiant chinois au père de Tintin. Nous sommes en 1934 et Georges, 27 ans, dessinateur publicitaire et auteur de BD dans le Petit Vingtième, veut envoyer son héros en Chine pour de nouvelles aventures. Pour l’aider et éviter les clichés sur la Chine, Georges Rémi est amené à rencontrer Tchang, un étudiant de 26 ans installé à Bruxelles. Une grande complicité ne tarde pas à s’établir entre eux.

Dans une période politique assez trouble entre la montée du nazisme, la peur du communisme et l’invasion par l’Armée impériale japonaise d’une partie de la Chine (manipulé par un camarade d’université et communiste chinois convaincu, Tchang va d’ailleurs truffer les cases de slogans anti-impérialistes et anti-japonais), « Georges & Tchang » démontre en quoi la rencontre des deux hommes a été déterminante dans l’œuvre globale d’Hergé.

Mais c’est évidemment le sujet de l’homosexualité qui marque le plus dans l’album. Il est même étonnant, connaissant la propension des ayants droits d’Hergé à tirer sur tout ce qui bouge que l’album de Colonnier, dessinateur de presse et auteur de BD (« Internal Lobster ») ait pu voir le jour. L’habileté avec laquelle l’auteur évite de citer le nom de Tintin ou de Hergé explique peut-être l’absence de réaction… Certains milieux catholiques comme Civitas n’ont eux en tout cas pas tardé à s’insurger contre cette BD venant « à point pour contribuer à la grande opération de banalisation de l’homosexualité que l’on observe en ce moment en France », appelant justement les éditions Moulinsart à mobiliser leurs avocats…

Alors, Hergé, homo ou pas? « Georges & Tchang » ne tranche pas. Mais il y a ces nombreux moments partagés entre les deux hommes qui ont fini par rendre jalouse l’épouse de Georges et ce collègue qui les surprend en train de se faire « des papouilles » dans leur studio. Il y a aussi ce lapsus de Hergé dans une émission de Bernard Pivot en 1973: il y explique alors que son album préféré est « Tintin au Tibet » parce que c’est une histoire toute simple, où il n’y a pas de méchants, pas de mauvais, où il n’y a pas de gangsters, où il n’y a rien. Simplement une histoire d’amou… d’amitié. Comme on dit, une histoire d’amour. » Difficile donc de démêler le vrai du faux mais à travers son dessin en noir et blanc (un peu grisouille), force est de constater que Colonnier s’appuie sur une documentation sérieuse. Outre la balade dans le Bruxelles des années trente, le lecteur appréciera également les multiples clins d’oeil à l’oeuvre d’Hergé comme les rencontres de Georges Rémi avec un certain professeur très étourdi, la mère volubile de son associé ou encore une momie péruvienne au musée qui lui inspireront de célèbres personnages… Bref, le sujet était périlleux, Laurent Colonnier s’en tire finalement très bien.

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